mercredi 14 novembre 2012

Les devoirs et les leçons : quelles fonctions ?

Les devoirs et les leçons se définissent grossièrement comme des tâches scolaires que les élèves doivent effectuer en dehors de la classe (généralement à la maison). Les débats sociaux sur l’utilité et la pertinence des devoirs et des leçons à la maison connaissent des hauts et des bas selon la période considérée. Au début du XXe siècle, alors que l’apprentissage est vu comme la résultante de la répétition, les devoirs et les leçons sont considérés comme une bonne façon d’approfondir une même matière. Plus tard, lorsque la conception de l’apprentissage évolue vers l’idée qu’il correspond plutôt à une capacité de résoudre des problèmes, les devoirs et les leçons sont davantage considérés comme une intrusion dans la vie des familles. La pertinence des données quant aux devoirs et aux leçons fait encore aujourd’hui l’objet de questionnements et de débats entre les «pro » et les « anti » devoirs et leçons.

Les tenants des devoirs et des leçons affirment que c’est une bonne façon de faire participer les parents à l’éducation scolaire de leur enfant puisqu’en étant parties prenantes à cette activité, ils sont plus à même de mieux savoir ce que leurs enfants apprennent et de les suivre dans leur cheminement scolaire. Ce serait également, selon eux, une façon de favoriser le développement du sens des responsabilités chez les élèves. Du côté des détracteurs, les devoirs et les leçons seraient une source de stress et de conflit entre les parents et les enfants, et ils ne seraient plus de mise dans un monde où les deux parents travaillent. De plus, on peut considérer dans ce dernier groupe ceux qui pensent que les devoirs et les leçons sont une source d’amplification des inégalités scolaires, dans la mesure où certains parents immigrants (qui ne maîtrisent pas la langue de l’école) ou vivant en milieu défavorisé (qui maîtrisent moins les savoirs scolaires) sont moins susceptibles d’aider leurs enfants dans leurs devoirs et leçons, alors que ce sont ces enfants qui en ont le plus besoin.

Donner des devoirs et des leçons est une pratique très répandue au Québec, comme le confirme l’enquête du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) dans le cadre de son avis sur les devoirs et leçons au primaire (2010), alors que la quasi-totalité des écoles y ont recours. Parmi 443 directions d’établissement scolaire interrogées quant à savoir si le personnel enseignant donnait des devoirs et des leçons aux élèves, 437 ont répondu par l’affirmative. D’autres recherches confirment ces résultats, comme celle de Rolande Deslandes sur 18 écoles situées dans 5 régions du Québec (2008) : on y apprend que 91% des parents d’élèves disent que leurs enfants ont des devoirs et des leçons à faire 4 soirs par semaine ou tous les soirs.

Nombre de parents considèrent les devoirs et les leçons comme une bonne chose pour leurs enfants. Dans un sondage réalisé en 2009 par la Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ), on note que la très grande majorité des parents (90%) sont tout à fait d’accord ou plutôt d’accord avec cette pratique au primaire. Parmi les perceptions des parents sur les fonctions des devoirs et des leçons à la maison, nombreuses sont celles selon lesquelles ils permettent de connaître le travail fait en classe par leur enfant, de même que le degré de facilité ou de difficulté des matières qu’il apprend. Peu de parents indiquent dans le sondage que les devoirs et les leçons nuisent à la communication avec l’enfant. Toutefois, presque la moitié des parents interrogés considère que les devoirs et les leçons sont une source de stress (FCPQ, 2010). Selon une enquête effectuée en 2006 cette fois, 64% des parents canadiens estiment qu’ils ne possèdent pas les connaissances requises pour aider leur enfant à faire leurs devoirs. Des enquêtes réalisées par sondage au Canada indiquent également que le manque de temps du côté des parents pour aider leur enfant à faire leurs devoirs est un obstacle important (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2008).

Pour bien des parents, les devoirs et les leçons sont associés à une plus grande réussite scolaire. Qu’en est-il de l’efficacité des devoirs et des leçons à ce chapitre ? Dans une revue de la littérature portant sur les recherches ayant examiné le lien entre devoirs et performance scolaire, il est indiqué que, dans l’ensemble, les devoirs contribuent à une meilleure réussite des élèves, avec quelques nuances cependant : les devoirs et les leçons sont efficaces pour la rétention d’information à court terme, mais ils le sont moins pour une compréhension à long terme. De plus, cette efficacité des devoirs se confirmerait pour les élèves du secondaire, mais pas pour les élèves du primaire (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2008).

Une autre recension de la recherche effectuée par le Conseil canadien sur l’apprentissage a cherché à vérifier la portée des devoirs sur la réussite des élèves à partir de 18 études ayant abordé cette question de 2003 à 2007. Ces études dégageaient 32 indicateurs de résultats permettant d’établir l’influence nette des devoirs sur la performance scolaire. Pour la moitié des indicateurs, il y avait une influence forte (4 indicateurs) ou modérée (12 indicateurs) sur les performances scolaires des élèves (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2009). 

jeudi 1 novembre 2012

De quoi le Québec a-t-il besoin en éducation ?


C’est le titre d’un ouvrage paru hier sous la direction de Jean Barbe, Marie-France Bazzo et Vincent Marissal et qui comprend la contribution de onze personnes. Chacune d’elles a eu à répondre à huit questions dont, entre autres :

  • Que devrait savoir un jeune en sortant du secondaire ?
  • Quel est le rôle de l’école, du primaire à l’université ?
  • Écoles privées ou écoles publiques ?
  • Pourquoi y a-t-il encore du décrochage ?

J’ai lu l’ouvrage avec attention et intérêt. J’y ai lu quelques bonnes analyses et idées, mais j’ai plusieurs déceptions. Cet ouvrage ne permet pas de répondre à la question qu’il pose.

Quelques mots sur la forme

Deux petites choses sur la forme avant de passer au fond. D’abord le titre. Quelle question bizarre. Il aurait été plus pertinent de se demander quelle éducation voulons-nous pour le Québec ? Ou encore, qu’est-ce que le Québec peut faire pour se donner une éducation à la hauteur de ses aspirations ? L’éducation doit répondre d’abord aux besoins des jeunes et des adultes en formation, le Québec y trouvera son compte par la suite. Puis, on indique sur la pochette du livre qu’il s’agit d’un recueil d’entretiens. Il s’agit plutôt d’un recueil de textes, car on ne retrouve aucun entretien dans cet ouvrage.

Et une appréciation du contenu

Sur le fond maintenant. Les auteurs du collectif viennent d’horizons divers. Ils ont une connaissance et une expérience plus ou moins grande des réalités éducatives au Québec. Cette diversité est intéressante, car elle permet de lire des points de vue contrastés. Toutefois, il apparaît vite à la lecture de l’ouvrage que la qualité du propos est aussi très variable. Si quelques bonnes idées sont avancées parfois, si l’analyse peut agréablement surprendre dans certains cas, pour l’ensemble, on est devant l’expression d’opinions, sans plus, sur l’éducation au Québec. Pire, on a droit à l’expression à plusieurs moments de lieux communs, de stéréotypes, d’anecdotes présentées comme des faits généralisables ou encore montés en épingle. C’est sans compter les affirmations à l’emporte-pièce qui laissent pantois, venant de gens qui côtoient le milieu de l’éducation depuis de nombreuses années. Dans certains cas, les réponses n’ont visiblement pas de rapport avec la question.

Fort heureusement, il y a quelques beaux morceaux de texte qui sont visiblement appuyés sur une analyse plus réfléchie. Les réponses de Normand Baillargeon aux questions sauvent définitivement l’ouvrage. Merci mille fois Monsieur Baillargeon, toujours un plaisir de vous lire. Avec sa vaste expérience du système scolaire, Guy Rocher répond à chacune des questions avec un regard certain. Un économiste, Ianick Marcil, blogueur au Voir, et Maryse Perreault, nous offre également une analyse intéressante, même si je suis parfois en désaccord avec leurs propos. Des déceptions : Fabienne Larouche dont il est difficile de suivre le propos tellement il est éclaté et peu pertinent ; Robert Bisaillon qui possède pourtant une vaste expérience du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) aurait pu en profiter pour nous instruire sur les paradoxes des politiques éducatives du Québec. Au lieu de cela, il tombe dans un antisyndicalisme primaire. Il n’est d’ailleurs pas le seul.

Quelques éléments de contenu

L’ouvrage débute mal. Marie-France Bazzo nous dit que « le Québec se fout de l’éducation ». C’est une affirmation alambiquée. Certes, il est vrai que l’éducation dans les médias ne fait qu’un maigre 0,18 % de toutes les nouvelles et que la majorité de ce 0,18 % concerne les structures. On parle plus de cuisine, 28 fois plus en fait que l’éducation. On peut imaginer facilement que le sport dépasse très largement l’éducation dans les médias. Comme dans le temps des Romains, c’est le pain et les jeux qui comptent.

Mais si vous demandez à des parents et à des grands-parents ce qu’ils pensent de l’enseignante ou de l’enseignant de leurs enfants et petits-enfants, vous aurez un autre son de cloche, probablement plus positif et intéressé. Si vous leur demandez ce qu’ils pensent de leur école, vous aurez déjà une réponse plus distante. Si vous leur demandez enfin ce qu’il pense de l’éducation en général, vous n’entendrez plus rien ou on vous répètera ce que les médias en disent, c’est-à-dire pas grand-chose. Et je ne critique pas ici Barbe, Bazzo et Marrissal, je considère qu’ils font des efforts plus que louables pour faire « monter d’une coche » le niveau de réflexion dans les médias au Québec. Je pense plus ici au junk food médiatique servi par des journaux complaisants ou des radios poubelles qui dépeignent l’éducation publique comme une des sept plaies d’Égypte.

Quand Robert Bisaillon nous dit qu’« on vit actuellement des phénomènes d’exclusion créés par le système, mais on prétend en même temps que l’école est pour tous », j’aurais souhaité qu’il nous parle du rôle des politiques éducatives dans cette situation et du rôle qu’il a joué lui-même comme sous-ministre adjoint dans le développement de ces politiques. Au lieu de cela, on apprend que le Parti libéral a « gossé » les politiques mises en place par le Parti québécois, que les programmes par compétences ne sont pas appliqués et que la culture professionnelle n’existe pas chez les enseignantes et les enseignants. Bon, il y a du vrai dans tout cela, mais pour un acteur aussi important, on se serait attendu à une analyse plus en profondeur.

Je suis agréablement surpris de lire Ianik Marcil qui s’inquiète de la place que prend la culture du chiffre en éducation sous l’impact de la gestion axée sur les résultats. Je suis surpris que quelqu’un de l’extérieur à l’éducation puisse déceler les dangers de cette approche en éducation lorsqu’elle est utilisée tout de travers alors que celles et ceux qui sont à l’intérieur du système éducatif ne soulèvent pas cette question. En ce qui me concerne, la gestion axée sur les résultats utilisée dans les établissements scolaires présentement est une menace à la culture générale et au développement des enfants. Je ne veux pas pour les enfants du Québec un système éducatif qui ne pense que pression à la performance, cibles à atteindre, sans égard aux moyens dont disposent celles et ceux qui font l’éducation au quotidien.

J’aime bien aussi l’idée de Mario Asselin de l’écriture en public. Il me semble que cette idée est porteuse et pourrait favoriser la réussite d’un plus grand nombre d’élèves. Que des jeunes fassent des travaux scolaires en ayant en tête que les résultats de leurs efforts pourront être appréciés sur un blogue, par exemple, constitue en effet une motivation très forte à entrer dans les apprentissages, quel que soit le niveau de l’élève. Certes, les élèves plus faibles auront besoin d’un coup de main plus grand pour les aider à cheminer dans des démarches de la sorte, mais j’ai confiance qu’ils pourraient en retirer beaucoup.

Sur l’antisyndicalisme primaire qui est affiché par certains dans l’ouvrage

Je pense qu’il est plus facile de chercher des coupables aux maux de l’éducation que de proposer des avenues pour une meilleure éducation. Je travaille pour une organisation syndicale et je peux donc voir de l’intérieur ce qui s’y passe. Rien n’est parfait, c’est vrai dans le milieu du syndicalisme enseignant, dans les commissions scolaires, chez les directions d’établissement, au MELS, chez les enseignantes et les enseignants, les parents et les élèves. Facile de s’entendre là-dessus. Mais quand on utilise des faits divers pour discréditer le syndicalisme enseignant, quand on impute aux syndicats enseignants des réalités qui ne les concernent pas, je trouve cela déplorable, comme je trouve déplorable les gens qui critiquent les directions d’établissement, les commissions scolaires ou le Ministère sans savoir vraiment comment les choses se passent.

Par exemple, Robert Bisaillon affirme dans l’ouvrage que : « Les milieux où il y a des syndicats purs et durs sont les milieux où il y a le plus d’enfants au privé. Pourquoi ? Les syndicats ont tenu pendant vingt ans un discours selon lequel on ne pouvait pas donner une éducation de qualité au public à cause des compressions, du manque de ressources, etc. »

Il me semble qu’entre la cause et l’effet, il y a deux ou trois éléments à considérer. C’est en milieu urbain qu’on retrouve le plus d’écoles privées, c’est en milieu urbain qu’il y a le plus de concurrence entre les écoles, c’est en milieu urbain qu’on retrouve les plus gros syndicats, les mieux outillés également pour critiquer certaines aberrations de politiques éducatives mises en place, c’est en milieu urbain que les problèmes de l’école sont les plus criants, car c’est aussi en milieu urbain que les défis de l’école sont les plus grands (pauvreté, multiethnicité, etc.). C’est le genre de variables que j’intercalerais entre l’exode vers le privé des élèves du public et le discours des syndicats afin d’expliquer les liens entre la cause et l’effet.

Un autre exemple nous est fourni par Mario Asselin, qui monte en épingle un fait anecdotique. Pour Asselin, c’est de l’enthousiasme qui manque en éducation, c’est ce dont l’éducation aurait le plus besoin. Mettons. Mais ça se gâte quand il affirme ironiquement que les syndicats en ont eu de l’enthousiasme envers la réforme « quand ils faisaient leur procession avec les nouveaux programmes de formation dans le cellophane, pas ouverts, et qu’ils paradaient pour aller les porter dans le container ». Avec de telles déclarations, on passe d’un antisyndicalisme primaire à un antisyndicalisme primitif. Asselin n’est pas sans savoir que la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) ont été critiques de la réforme, mais ne l’ont pas rejetée. Ces organisations syndicales ont travaillé en mode propositions auprès du MELS afin d’atténuer les principaux irritants de cette réforme.

jeudi 20 septembre 2012

L’approche comptable en éducation au Québec (3e partie)


Dans les deux premiers billets sur l’approche comptable en éducation (voir ici et ici), on a pu constater que cette vision de l’éducation prend forme au Québec en 2000 et qu’elle a des impacts importants sur les conditions d’exercice et sur les processus de décision dans les établissements scolaires. Dans ce dernier billet, je souhaite questionner l’efficacité de la gestion comptable de l’éducation.

Même le gourou de la gestion axée sur les résultats émet des doutes

J’en ai parlé dans le premier billet, le gourou des commissions scolaires sur la gestion axée sur les résultats (GAR) est Pierre Collerette. Même s’il est favorable aux conventions de gestion dans les établissements scolaires, il demeure toutefois critique. Selon lui, la convention de gestion et de réussite éducative (CGRÉ) est un mécanisme plutôt technocratique qui introduit une pression sur les gestionnaires scolaires (et ajoutons sur le personnel enseignant) et ne recèle pas d’outils pour améliorer les résultats des élèves.

Plus encore, il considère que la gestion axée sur les résultats n’est pas une panacée et qu’elle ne peut se substituer à une diversité d’approches pédagogiques favorables à la réussite éducative. Voilà qui devrait refroidir l’ardeur de certains gestionnaires scolaires qui considèrent la gestion axée sur les résultats et les conventions de gestion comme le nec plus ultra pour favoriser la réussite des élèves[1].

Un mécanisme de contrôle qui bouffe de l’énergie inutilement

De plus, les conventions de partenariat et les conventions de gestion et de réussite éducative ne sont pas sans effets potentiellement négatifs sur la gouverne d’ensemble du système d’éducation. Déjà en 2008, un des spécialistes de la gouvernance scolaire au Québec, André Brassard, indiquait que les nouvelles dispositions de la Loi sur l’instruction publique pourraient résulter en une activité accrue du travail de gestion commandant plus d’investissement en temps et en énergie pour le Ministère, les commissions scolaires et les établissements. Et il avait raison. 

La mise en place des conventions a exigé des commissions scolaires et des établissements un travail important pour en élaborer le contenu, pour bâtir les indicateurs qui permettraient d’évaluer la performance des établissements et pour effectuer la reddition de comptes qui accompagne ces conventions. Ainsi, les directions adjointes à la réussite éducative se sont multipliées dans les commissions scolaires afin de répondre à cette commande gouvernementale.

Dans une intervention récente au Rendez-vous CSQ de l’éducation, en février 2012, Brassard a abordé la question de la gouvernance sous l’angle du contrôle, c’est-à-dire l’ensemble du dispositif visant à déterminer le fonctionnement d’un système et à assurer que celui-ci fonctionne conformément aux attentes. Dans le cadre de la gouvernance en éducation, cela prend la forme d’une recherche toujours plus poussée d’efficacité qui passerait par une amélioration continue.
Pour ce faire, les systèmes d’éducation se tournent de plus en plus vers les tests internationaux, la mise en place de programmes d’enseignement obligatoires où sont déterminés les apprentissages minimaux qui doivent être faits par les élèves, une augmentation substantielle des examens ministériels, une reddition de comptes augmentée et une participation accrue des usagers (les parents, en l’occurrence).

Selon Brassard toujours, s’il n’en tenait qu’aux chantres de la nouvelle gestion publique, ce contrôle pourrait être poussé plus loin en mettant en place une évaluation du personnel enseignant sur la base de la performance des élèves, des étudiantes ou des étudiants ou encore en rendant davantage accessibles les résultats comparés des établissements. Plusieurs personnes seraient, semble-t-il, convaincues aujourd’hui du bien‑fondé de ce type de contrôle sur les établissements et le personnel.

Ce que dit la recherche sur l’efficacité de l’approche comptable en éducation

La recherche confirme de plus en plus que la culture du résultat, l’approche comptable en éducation, avec sa propension à toujours plus de performance, ne donne pas les résultats escomptés. Par exemple, une méta-analyse documentaire effectuée au Royaume-Uni indique qu’une approche centrée sur l’apprentissage peut améliorer les résultats des élèves, tandis qu’une approche centrée uniquement sur la performance peut les faire baisser.

Les enfants qui développent une vision axée sur la performance plutôt que sur l’apprentissage ont tendance à avoir plus besoin d’aide. De plus, ils adoptent une pensée moins stratégique et ils accordent plus d’importance aux rétroactions faites lors des évaluations. Enfin, ils sont plus susceptibles de conserver des stratégies qui se révèlent inefficaces. L’attitude et le comportement des enfants s’améliorent – ainsi que leurs résultats – lorsque les enseignantes et les enseignants et les écoles considèrent qu’il est plus important de les aider à apprendre que de les pousser à obtenir de meilleurs résultats à un examen donné.

Le chercheur, Watkins, souligne deux défis à relever par les écoles si elles veulent faire réussir plus d’élèves: 1) reconnaître que la réussite aux examens ne constitue pas le but de l’éducation, elle est plutôt la conséquence d’un apprentissage efficace; 2) reconnaître que la pression et l’adoption d’une approche centrée sur la performance ne parviennent pas à améliorer le rendement des élèves.

Autre exemple, en Suède, les résultats d’une enquête vont dans le même sens. Dans un article récent, les auteurs ont cherché à mesurer l'incidence de l’adoption de la gestion axée sur les résultats (dans l’enquête ils parlent de gestion par objectifs, mais il faut voir que c’est la même chose dont il est question) dans les écoles secondaires suédoises sur les performances des élèves. Leur étude longitudinale indique une absence de corrélation, voire un effet négatif, entre cette pratique et l’amélioration des résultats scolaires.

Et au Québec, « qu’ossé ça donne » l’approche comptable en éducation

Ils sont nombreux au Québec à s’inquiéter de l’approche comptable en éducation. Claude Lessard, sociologue de l’éducation et maintenant président du Conseil supérieur de l’éducation affirme dans un texte en 2010 qu’il faudra «beaucoup de prudence dans l’application de la GAR, afin d’éviter les excès et dégâts observés ailleurs».

Plus récemment, une équipe de chercheurs (André Brassard, Jacques Lusignan et Guy Pelletier) a enquêté afin de prendre le pouls de la mise en place des conventions de gestion dans les écoles du Québec. Leurs conclusions[2] sont intéressantes à plusieurs égards:

—  la gestion axée sur les résultats et un processus lourd à gérer qui restreint la marge de manœuvre du personnel;

—  la gestion axée sur les résultats entraîne rapidement une dérive vers le «facilement mesurable»;

—  presque toutes les commissions scolaires ont affecté des ressources supplémentaires à la mise en place et au suivi des conventions (direction adjointe de commission scolaire, libération de direction d’établissement, conseillère ou conseiller pédagogique);

—  la GAR a orienté la mise en place des conventions sur les résultats mesurables, donc n’a pas favorisé la mobilisation du personnel;

—  pour les directions plus expérimentées, il y a un certain détachement 

vis-à-vis l’obligation de résultats. Par exemple, «on pourra toujours trouver de bonnes raisons si l’on n’atteint pas nos cibles»;


—  on dénonce des pressions exercées sur des enseignantes et des enseignants pour qu’ils soient «moins sévères dans leurs corrections» afin d’améliorer les indicateurs de réussite;

—  les chercheurs ne sont pas assurés que la GAR mise en place «contribuera de façon sensible à l’amélioration de la réussite et de la persévérance scolaires».

Dans son intervention au Rendez-vous CSQ de l’éducation en février dernier, André Brassard est allé plus loin en indiquant que cette gestion axée sur les résultats donne peu de résultats, elle peut même mener à des régressions. Les progrès constatés dans certains pays avec cette approche tendent rapidement à s’atténuer, voire à disparaître, et les effets pervers sont nombreux (ex.: préparer les élèves en fonction des tests standardisés). Si les résultats des élèves gagnent peu dans cette approche, cette dernière donne lieu, cependant, au développement d’une industrie de l’évaluation et d’une bureaucratie du traitement et de l’analyse des données.

Brassard indique que d’autres approches sont toutefois possibles comme celle du développement professionnel et organisationnel. C’est une approche locale, fondée sur la responsabilisation professionnelle, individuelle et collective et elle comporte deux volets: 1) une autoévaluation qui se fait dans une démarche réflexive et qui conduit à des modifications des pratiques individuelles et collectives (on parle idéalement de communauté de pratique); 2) une identification de la situation particulière de chaque élève en vue de prévenir les problèmes et d’adapter la prestation des services éducatifs.

Pour conclure ces trois billets

Si certains pensent qu’en ayant écarté la Coalition Avenir Québec ou le Parti libéral du pouvoir, on a réussi à stopper la culture du résultat qui affecte l’éducation, je dois avouer que je ne le pense pas. Le Parti québécois (PQ) est aussi un fervent défenseur de cette vision comptable.

Par exemple, dans un document produit par le Secrétariat intersyndical des services publics (SISP), le PQ indique en réponse à une question concernant ses intentions relatives aux services publiques, qu’il «introduira une véritable culture des résultats dans les réseaux publics, parexemple en conditionnant l’octroi et le niveau des budgets et des primes au rendement par les résultats obtenus en matière de satisfaction de la clientèle etd’augmentation de la productivité de chacun des ministères, organismes etsociétés d’État». Avec cette orientation, je ne suis vraiment pas rassuré pour l’avenir.


[1] Jean Bernatchez (@jbernatchez), professeur en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski, m’indiquait hier «le fait que l'éminence grise du NMP [Nouveau management public], Hood, inspiré par ses recherches empiriques, est devenu très critique du modèle qu'il a lui-même contribué à définir en le comparant à la planification soviétique par objectifs.».  M. Bernatchez a produit un texte pour le numéro de novembre de la revue Le Monde de l'Éducation intitulé «La gestion axée sur les résultats: mode passagère ou nouveau paradigme de gestion scolaire?». À lire.

[2] Ces conclusions sont tirées d’un texte que les auteurs m’ont fourni, intitulé La gestion axée sur les résultats dans le système éducatif du Québec. Du discours à la pratique. Je ne peux mettre de lien sur ce texte, car il est soumis pour publication et les auteurs m’ont demandé de ne pas le diffuser. Les conclusions de cette enquête ont aussi été présentées le 26 avril dernier lors de l’assemblée plénière annuelle du Conseil supérieur de l’éducation.

mercredi 19 septembre 2012

L’approche comptable en éducation au Québec (2e partie)


Dans un premier billet sur l’approche comptable en éducation, j’indiquais comment on peut définir l’approche comptable en éducation et comment elle a pris forme au Québec. On l’a vu, François Legault, l’actuel chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ), y est pour beaucoup. Dans le présent billet, j’indiquerai comment cette vision comptable a des impacts négatifs, particulièrement pour les écoles en milieu défavorisé et comment elle affecte les conditions d’exercice des enseignantes et des enseignants.

Les conventions de partenariat (signées entre le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) et les commissions scolaires) et les conventions de gestion (signées entre les commissions scolaires et les écoles) apparues dans les écoles en 2009 exercent des pressions sur le personnel enseignant. En vertu des conventions de partenariat, toutes les commissions scolaires doivent atteindre des cibles de diplomation. Pour l’ensemble du Québec, la cible est fixée à 80% de diplomation avant 20 ans, d’ici 2020. Cette cible nationale a été déterminée selon une géométrie variable pour chaque commission scolaire.

On met une forte pression sur les écoles en milieu défavorisé

Ainsi, pour les commissions scolaires de Montréal et des Samares, le ministère de l’Éducation demande une augmentation du taux de diplomation de 57% à 70% pour la première, et de 56% à 69% pour la seconde, soit des hausses respectives de l’ordre de 13%. La situation est fort différente pour les commissions scolaires des Découvreurs et Lester-B. Pearson puisque les efforts demandés sont beaucoup plus modestes. En fait, la première doit augmenter son taux de diplomation de 84% à 88% et la seconde, de 82% à 88%, soit des augmentations respectives de 4% et 6%.

Les commissions scolaires des Découvreurs et Lester-B. Pearson interviennent en milieu beaucoup plus aisé. Si l’on regarde l’indice de milieu socioéconomique (échelle de 1 à 10, où 1 indique un milieu social très favorisé et 10 un milieu social très défavorisé), on observe que les commissions scolaires des Découvreurs et Lester‑B. Pearson oeuvrent en milieu très favorisé, alors que les commissions scolaires des Samares et de Montréal œuvrent en milieu très défavorisé.

En somme, on demande à ceux qui ont moins d’en faire plus. L’essentiel de l’effort pour augmenter le taux de diplomation incombe aux écoles qui doivent déjà en faire beaucoup compte tenu de l’origine sociale de leurs élèves. Et ce sont précisément les écoles qui œuvrent auprès de jeunes en milieu défavorisé qui peinent le plus à amener ces jeunes vers la réussite scolaire. Pas besoin d’être sociologue pour flairer ici une odeur d’injustice sociale.

Une course aux résultats qui favorise les comportements déviants

Les pays qui ont mis en place une gestion axée sur les résultats, avec une forte pression pour que les écoles améliorent leurs scores aux examens nationaux, ont vu apparaître un ensemble d’effets pervers préjudiciables à une éducation de qualité.

Dans un contexte où les coupures en éducation au Québec se font à répétition depuis 2010 et que les moyens nécessaires pour offrir les services aux élèves en vue de leur réussite se font plus rares, les enseignantes et les enseignants et les directions d’établissement pourraient être tentés de développer des stratagèmes afin de rencontrer les attentes parfois irréalistes du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. On note, entre autres, comme effets pervers:

· une vision réductrice de l’éducation parce qu’uniquement axée sur les performances, mesurées par des indicateurs et orientées par les résultats;

· quand les pressions en faveur de la performance et de l’atteinte des résultats deviennent trop fortes, les écoles peuvent adopter des stratégies déviantes, comme se débarrasser des élèves faibles, orienter les élèves vers des filières cul-de-sac, empêcher les élèves de se présenter aux examens ministériels;

· dans un système de plus en plus compétitif, les meilleurs établissements s’améliorent davantage en écrémant les meilleurs élèves des autres établissements qui, de leur côté, regroupent de plus en plus d’élèves en difficulté ou avec troubles du comportement;

· une préparation des élèves aux examens (teach to test) puisque seuls les résultats ont de l’importance.

On ne parle pas ici de science-fiction. Un exemple parmi d’autres est celui des écoles de la ville d’Atlanta ou une fraude à grande échelle a eu lieu en 2011. Le gouverneur de la Géorgie, Nathan Deal, avait dévoilé à ce moment un rapport d’enquête de plus de 400 pages, démontrant comment 38 directions d’école et 140 enseignantes et enseignants ont triché au cours des dix dernières années pour améliorer la performance de leurs élèves aux examens du ministère de l’Éducation. Ce système généralisé de tricherie a été instauré pour répondre à la pression de devoir performer afin de se qualifier pour avoir droit aux subventions supplémentaires accordées aux écoles les plus méritantes.

On se souviendra que l’ex-ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, avait suggéré lors d’un Conseil général du Parti libéral en 2011 de lier le financement des écoles à la performance des écoles. Heureusement, les déléguées et les délégués sur le parterre ont eu l’intelligence de défaire cette proposition. Mais c’est le genre de propositions qui refera surface tôt ou tard et il y aura peut-être un gouvernement pour acheter ce genre d’initiative. On peut facilement imaginer les conséquences de ce type de gouvernance scolaire.

Et la démocratie scolaire participative en a pris pour son rhume

La Loi sur l’instruction publique accorde au ministère de l’Éducation le droit de fixer des cibles pour l’ensemble du réseau de l’éducation et que ces cibles soient inscrites dans les conventions de partenariat signées entre le Ministère et les commissions scolaires. En aucun cas, cependant, la Loi indique que ces cibles doivent se retrouver sans les conventions de gestion qui sont approuvées par les conseils d’établissement.

Dans plusieurs commissions scolaires, on a bien compris le principe, il n’y a pas eu d’insistance pour que soient inscrites des cibles dans les conventions de gestion. D’autres commissions scolaires, une quinzaine environ, ont choisi la ligne dure et se sont entêtées à vouloir que tous les conseils d’établissement approuvent leur convention de gestion avec des cibles. Résultat: une résistance importante dans plusieurs écoles.

Dans des dizaines de conseils d’établissement, les parents, le personnel enseignant, professionnel et de soutien ne voulaient pas de cette approche comptable de l’éducation. Ils n’en avaient pas contre l’idée d’une convention de gestion (ça peut servir de plan d’action après tout), mais contre les cibles qu’on voulait leur imposer. Devant les résistances, ces commissions scolaires ont sorti l’artillerie lourde et invoqué un article de la Loi sur l’instruction publique qui leur permet de prendre les décisions à la pace d’un conseil d’établissement.

Ainsi, des conseils d’établissement ont reçu des mises en demeure de leur commission scolaire les enjoignant d’approuver leur convention de gestion, malgré le fait qu’elles contiennent des cibles chiffrées. Et voilà pour la démocratie scolaire.

Dans le prochain billet, je poserai la question de l’efficacité et de la pertinence de cette vision comptable en éducation. Donne-t-elle réellement des résultats ? Permet-elle à plus d’élèves de réussir? Est-elle vraiment un moyen de mieux gérer les écoles ?


mardi 18 septembre 2012

L’approche comptable en éducation au Québec (1re partie)

Une discussion sur Twitter le 17 septembre 2012 sur l’approche comptable en éducation m’a interpellé. Et comme les 140 caractères du réseau social ne permettent pas de faire toutes les nuances nécessaires dans ce type de dossier, j’ai préféré me rabattre sur mon blogue.


Mise en contexte

@MarioAsselin semblait affirmer que l’approche comptable en éducation n’était pas une réalité au Québec (Mario, tu me corriges si je travestie ta pensée). Pour ma part, je considère que cette approche comptable est d’ores et déjà une réalité très présente dans le travail des enseignantes et enseignants et qu’elle affecte grandement leurs conditions d’exercice. Mario Asselin m’invitait à lui transmettre quelques liens hypertextes sur cette question, je vous invite plutôt à un voyage au pays des gestionnaires de l’éducation.

Un voyage en trois temps

Ce voyage, je le ferai en trois temps. Aujourd’hui, j’indiquerai comment on peut définir l’approche comptable en éducation et comment elle a pris forme au Québec. Vous verrez que François Legault, l’actuel chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ), y est pour beaucoup.

Dans le billet suivant, j’indiquerai comment cette vision comptable a des impacts négatifs, particulièrement pour les écoles en milieu défavorisé, et comment elle affecte les conditions d’exercice des enseignantes et enseignants.

Dans le dernier billet, je poserai la question de l’efficacité et de la pertinence de cette vision comptable en éducation. Donne-t-elle réellement des résultats? Permet-elle à plus d’élèves de réussir? Est-elle vraiment un moyen pour mieux gérer les écoles?

Une approche comptable en éducation, de quoi parle-t-on?

Qu’entend-t-on par approche comptable en éducation? Bien sûr, cela dépend de son point de vue. Les progressistes en éducation ont plutôt tendance à y voir un travestissement de la mission fondamentale de l’éducation qui vise à instruire, à socialiser et à qualifier les élèves en vue de leur insertion sociale et professionnelle. Le fait de mettre l’accent sur des cibles chiffrées à atteindre sans égard aux moyens disponibles, l’utilisation à grande échelle des données statistiques pour «gérer» l’éducation et l’utilisation d’indicateurs de performance sont pour eux quelques-uns des éléments qui forment l’approche comptable de l’éducation et qui nous détournent de la mission première de l’école.

Pour les gens plus à droite socialement et politiquement, l’approche comptable en éducation signifie une meilleure gestion de l’éducation qui serait garante d’une plus grande réussite des élèves. Il y a un discours très présent au ministère de l’Éducation, chez certaines directions générales de commission scolaire et certaines directions d’établissement autour de cette question des statistiques[1]. On y parle de tableau de bord remplit d’une myriade d’indicateurs de performance tous chiffrés et de logiciels d’exploitation de ces données (le logiciel le plus connu se nomme Lumix). Dans cette vision de l’éducation, les résultats à atteindre sont plus importants.

D’où vient cette vision comptable ?

C’est une pensée gestionnaire qui a pris forme dans de nombreux pays depuis au moins deux décennies. Au Québec, elle s’installe dans la fonction publique et elle est formalisée dans la Loi sur l’administration publique en 2000 qui vise l’instauration d’une gestion axée sur l’atteinte des résultats dans les ministères et les organismes du gouvernement. Avec la nouvelle gestion publique, certains ont parlé de l’émergence d’une pensée comptable en éducation. Cette dernière peut être définie sur la base du triple E : économie, efficacité, efficience.

De manière un peu plus détaillée, on peut caractériser la nouvelle gestion publique par une approche client (les attentes et les besoins de la population deviennent l’étalon de toutes les orientations), où l’action des actrices et acteurs est jaugée à l’aune de la performance, de l’efficacité et de la réduction des coûts. On y observe également une volonté de décentraliser un certain nombre de pouvoirs et de responsabilités des instances centrales vers les instances intermédiaires et locales.

Le mode de gestion privilégié est celui des résultats, c’est-à-dire que de haut en bas de la chaîne administrative, chaque organisme doit se fixer de grandes orientations, qui seront déclinées par la suite en objectifs et cibles à atteindre. En ce sens, la nouvelle gouvernance est orientée plus ou moins fortement par l’idée d’obligation de résultats. Les résultats à atteindre doivent être évalués et, pour ce faire, une panoplie d’indicateurs de performance est mise au point et intégrée dans un tableau de bord.

Dans ce cadre, la nouvelle gestion publique et les organisations (ainsi que leur personnel) sont imputables (responsables) de la réussite ou de l’échec de l’atteinte des objectifs fixés et elles doivent en rendre compte par la publication (rendre publics) des résultats obtenus[2].

Les plans d’affaires de François Legault

Cette nouvelle manière de gérer les affaires de l’État et de ses organismes dépendants a pris place rapidement en éducation. Au Sommet du Québec et de la jeunesse, en 2000, un consensus a été dégagé concernant la volonté de qualifier 100 % des jeunes du Québec. Le ministre de l’Éducation de l’époque, François Legault, souhaite atteindre cette cible de 100% de qualification en mettant en place, dans tous les établissements scolaires du Québec, des plans de réussite. Plusieurs ont vu dans ces plans de réussite le calque des plans d’affaires dans les entreprises. D’ailleurs, le ministre lui-même disait à qui voulait l’entendre que le plan de réussite était l’équivalent scolaire du plan d’affaires.

À partir d’une analyse de la situation de l’établissement scolaire et de l’identification des obstacles à la réussite, ces plans devaient comporter: 1) des objectifs mesurables à atteindre pour améliorer la réussite sur un horizon de trois ans; 2) des moyens pour y parvenir; 3) des mesures d’évaluation et une mise à jour annuelle. Dans les instructions fournies par le ministère de l’Éducation pour cette opération, les écoles ont été invitées à se fixer des objectifs précis et mesurables, comme la réduction des retards au primaire ou l’augmentation du taux de diplomation au secondaire.

Plusieurs commissions scolaires ont joué le jeu de la nouvelle gestion en éducation et se sont fixé des cibles fort ambitieuses à atteindre. À partir de l’analyse des plans de réussite déposés par les commissions scolaires au nom de leurs établissements, on a constaté la volonté de faire passer le retard scolaire de 22,2% à 11% et le pourcentage de décrochage de 26,8% à 22,8%[3].

D’autres établissements scolaires ont plutôt résisté à cette vision comptable de la réussite et à l’obligation de résultats qui l’accompagnait en mettant dans leur projet éducatif et dans leur plan de réussite des objectifs généraux à atteindre, non pas des cibles précises et chiffrées. Devant cette résistance, le ministre de l’Éducation déclarait en 2001 qu’il entendait inclure des mesures «avec des dents» dans la Loi sur l’instruction publique afin de faire respecter la volonté du gouvernement.

Les plans de réussite

Les amendements proposés par le projet de loi no 124 à la Loi sur l’instruction publique en 2002 se situent dans le prolongement des débats qui ont entouré l’opération «Plan de réussite», lancée par François Legault. Ce projet de loi vient enchâsser, dans la loi éducative du Québec, les principes de la nouvelle gestion publique. Il devenait impossible dans ces conditions, pour les actrices et acteurs du milieu, de se soustraire à la volonté ministérielle, sous peine d’enfreindre la loi. Ces modifications obligent chaque commission scolaire à adopter un plan stratégique et chaque établissement à se doter d’un plan de réussite pour la mise en œuvre de leur projet éducatif, pour les écoles, ou de leurs orientations, pour les centres.

Toutefois, la résistance au projet de loi no 124 a été tellement forte que le législateur a dû concéder que, dans les plans de réussite des établissements, il n’y aurait pas d’obligation d’inclure des cibles chiffrées à atteindre (par exemple, obligation d’augmenter de 2% la diplomation dans l’année) afin de laisser plutôt place à des objectifs plus généraux (prendre les moyens nécessaires pour augmenter la diplomation durant la prochaine année). Le milieu de l’éducation échappait ainsi pour un moment à l’obligation de résultats, mais le gouvernement reviendra à la charge plus tard.

Les conventions de partenariat et les conventions de gestion

En 2008, le gouvernement fait un pas supplémentaire pour soumettre les établissements scolaires à l’obligation de résultats. Avec l’adoption du projet de loi no 88, de nouvelles modifications à la Loi sur l’instruction publique viennent formaliser et articuler davantage l’instauration d’une gestion axée sur les résultats dans les commissions et les établissements scolaires.

Ainsi, des buts fixés, des objectifs mesurables et des cibles de diplomation sont désormais établis pour chaque commission scolaire. Une approche contractuelle est instaurée entre le Ministère et la commission scolaire par une convention de partenariat et entre la commission scolaire et ses établissements par une convention de gestion et de réussite. Ces conventions précisent la contribution de chacune et chacun à l’atteinte des buts fixés, des objectifs mesurables et des cibles de diplomation déterminés par le ministère de l’Éducation[4].

Avec ces nouvelles dispositions législatives, les écoles doivent se centrer davantage sur les résultats à atteindre que sur les moyens pour atteindre ces résultats[5].

En attendant le prochain billet, voici un texte de Pierre Collerette, gourou des commissions scolaires en matière de gestion axée sur les résultats et d’approche comptable en éducation. Ce chercheur a donné plusieurs formations dans des commissions scolaires afin de préparer les gestionnaires de l’éducation à implanter les conventions de partenariat et les conventions de gestion dans les écoles du Québec. Je reparlerai de ce texte dans le dernier billet.





[1]  Ce ne sont bien sûr pas toutes les directions générales de commissions scolaires, encore moins toutes les directions d’établissement, qui sont d’accord avec la vision comptable en éducation. J’en connais qui sont même très critiques de cette approche.

[2]  Voir Conseil du Trésor (1999). Pour de meilleurs services aux citoyens. Un nouveau cadre de gestion pour la fonction publique. Québec : Gouvernement du Québec, Le Conseil.

[3] Claude Lessard (2004). « Conclusion synthèse ». Dans Claude Lessard et Philippe Meirieu (dirs.). L’obligation de résultats en éducation. Québec : Presses de l’Université Laval, p. 295-309.

[5]  Voici un exemple de convention de gestion sous forme de tableau de bord. 

jeudi 23 août 2012

La Coalition Avenir Québec (CAQ) serait-elle un parti d’amateurs ?


L’affirmation peut paraître forte d’autant plus que je ne peux juger de l’ensemble du programme de la formation politique, car je n’ai pas les compétences nécessaires. Toutefois, en ce qui a trait à l’éducation, je me sens plus à l’aise d’intervenir puisque je connais bien le domaine. Le programme de la CAQ en éducation est ambitieux, fondé sur des promesses qui pourraient s’avérer beaucoup plus coûteuses que la formation politique ne le prétend (voir le billet de Marc Saint-Pierre sur la promesse d’augmenter de 20 % le salaire des enseignantes et enseignants et des directions d’établissement ou encore le billet du professeur masqué). Mais là n’est pas mon propos.

Les taux de réussite au collégial et à l’université

Je voudrais m’arrêter à une autre promesse de la CAQ qui consiste à vouloir augmenter le taux de diplomation au collégial à 75 % et à l’université à 80 %. Je le dis crûment, même si la CAQ était au pouvoir pendant 20 ans, qu’elle investissait toutes les ressources du Québec, qu’elle trouvait des idées originales, elle ne pourrait pas remplir sa promesse. Pourquoi ? Pour une simple erreur d’amateur. Voici les faits.

Si la CAQ avait indiqué qu’elle souhaitait atteindre un taux de réussite (nombre de jeunes inscrits dans un programme qui obtiennent un diplôme) au collégial et à l’université respectivement de 75 % et 80 %, cette promesse aurait eu tout son sens. Présentement, au collégial, la réussite des jeunes inscrits dans un programme (préuniversitaire et technique) est de 64 %[1], ce qui veut dire que sur 100 personnes inscrites à un programme d’études collégiales, 64 obtiennent leur diplôme. Si on y ajoute les attestations d’études collégiales (AEC), les certificats d’études collégiales (CEC) et les diplômes de perfectionnement de l’enseignement collégial (DPEC), on obtient un taux de réussite de 78,6 %, soit au-delà de la cible de la CAQ.

Pour l’enseignement universitaire, le taux de réussite est présentement de 68 % au baccalauréat (de 72 % à la maîtrise et de 56 % au doctorat), ce qui veut dire que sur 100 personnes inscrites au baccalauréat, 68 obtiennent un diplôme. Les promesses de la CAQ sont réalistes dans ce contexte, quoique que cela demanderait des efforts énormes afin d’investir des ressources pour soutenir les enseignantes et enseignants dans ce défi.

L’erreur de la CAQ c’est d’avoir confondu taux de diplomation et taux de réussite

Un taux de diplomation correspond au nombre de personnes qui obtiennent un diplôme (secondaire, collégial, universitaire) dans une génération ou une classe d’âge. Je sais, il n’y a rien à comprendre là-dedans. Pour simplifier les choses, on prend 100 jeunes qui entrent au secondaire et on les suit dans leur cheminement scolaire jusqu’à l’université. Présentement, au Québec, sur 100 jeunes entrés au secondaire, 74 obtiennent un diplôme avant 20 ans, ce qui donne un taux de diplomation de 74 % (en réalité, c’est 73,8 %). Simple non !

Continuons à suivre nos jeunes. Sur les 74 jeunes qui sont diplômés, 61 s’inscriront au collégial et 39 d’entre eux obtiendront un diplôme, ce qui nous fait un taux de diplomation de 39 % (39 jeunes qui obtiennent un diplôme au collégial sur 100 qui sont entrés au secondaire = 39 %). On voit bien ici que le taux de diplomation et le taux de réussite au collégial sont deux mesures différentes. Il suffit de faire une simple règle de trois pour obtenir à partir du taux de diplomation le taux de réussite, soit 39 x 100 ÷ 61 = 64 %. 

On comprendra que pour atteindre un taux de diplomation au collégial de 75 %, il faudrait minimalement que 75 jeunes du secondaire sur 100 accèdent aux études collégiales (61 jeunes présentement) et que tous réussissent à obtenir un diplôme (défi gigantesque, vous en conviendrez). Le même raisonnement doit être effectué pour les études universitaires.

Une question de rigueur

Tout cela pour dire que la rigueur ne semble pas la marque de commerce de la CAQ. Parce que la CAQ confond les mesures statistiques en éducation, elle risque de créer de la confusion. Que dira François Legault quand un journaliste lui demandera comment il fera pour atteindre un taux de diplomation de 75 % au collégial alors que les indicateurs du MELS indiquent que ce taux est de 39 % présentement. Osera-t-il affirmer que la CAQ a confondu deux mesures en éducation ou cherchera-t-il à minimiser les choses en disant qu’il y a eu une «coquille» dans le programme du parti ? 

Ce que demande la CAQ, c’est la possibilité de nous gouverner tous. Pour cela, je crois que la formation politique a des devoirs à faire. Premièrement, s’entourer de quelques spécialistes (en éducation par exemple) afin d’éviter des erreurs comme on vient de le voir. Ensuite, envisager faire un passage dans l’opposition afin de prendre de l’expérience, ce qui fait défaut présentement (à part quelques députés de la défunte ADQ).




[1]     Voir les données du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS).