Cachez ces données que je ne saurais voir
Comme je tiens un blogue sur la recherche en éducation, je suis à même de constater à quel point le paysage de la recherche en éducation est en mutation. Et ce n’est pas fortuit. L’arrivée au pouvoir de gouvernements plutôt conservateurs a signifié un recul pour un certain type de recherche en éducation, celle qui pouvait de temps à autre faire contrepoids aux discours lénifiants de ministres de l’Éducation plus préoccupés par l’image publique de leur gouvernement que par la réussite éducative des jeunes.
« L’arrivée au pouvoir de gouvernements plutôt conservateurs a signifié un recul pour un certain type de recherche en éducation. »
Vous connaissez peut-être la Fondation des bourses du millénaire du gouvernement canadien, programme créé en 1998 et aboli à la fin 2009 par le gouvernement Harper. Outre la distribution de bourses d’études, ce programme comportait une constituante recherche à laquelle participaient des chercheures et chercheurs rigoureux. Ce programme a produit un bon nombre de notes de recherche sur l’accessibilité aux études supérieures au Canada, sur les difficultés vécues par les étudiantes et étudiants universitaires dans leur parcours scolaire et sur les transitions scolaires. Cette expertise est maintenant perdue.
Un peu plus tard, au début 2010, le gouvernement Harper a coupé le financement du Conseil canadien sur l’apprentissage (CCA). Cet organisme, créé en 2004 sous les Libéraux, avait un mandat de soutenir la recherche dans le but d'améliorer l'apprentissage au Canada, de la petite enfance à l'âge adulte, et de lutter contre le décrochage scolaire. Comme le soulignait dans les médias le président du CCA, Paul Cappon, « Pour moi, il est inconcevable que dans une société [moderne] où tout dépend de l'économie du savoir, on ne puisse pas financer une organisation qui donne vraiment des résultats. ». Heureusement, le CCA a décidé de poursuivre ses travaux malgré tout en limitant la production au strict minimum.
« Pour moi, il est inconcevable que dans une société [moderne] où tout dépend de l'économie du savoir, on ne puisse pas financer une organisation qui donne vraiment des résultats. »
La saga entourant l’obligation de répondre au questionnaire long du recensement du Canada (ce qui a été qualifié de « crise du recensement») est encore un autre coup dur pour la recherche en éducation. La démission du statisticien en chef de Statistique Canada en juillet a confirmé l’importance du problème : il affirmait que « cette décision aurait des conséquences catastrophiques pour la recherche et l’évaluation des programmes et des politiques publiques ». Plusieurs données touchant l’éducation risquent d’être perdues ou inutilisables (car non comparables ou peu fiables).
La nouvelle ministre de l’Éducation du Québec, Line Beauchamp, a réagi en disant que «l'élimination du questionnaire long obligatoire aurait des conséquences négatives sur une très vaste gamme de données» comme les domaines d'études, le revenu et les caractéristiques du marché du travail. La Centrale de syndicat du Québec (CSQ), regroupant la majeure partie du personnel des établissements scolaires au Québec, a interpellé Stephen Harper sur cette question. Elle rappelait que le ministère de l'Éducation du Québec se base sur les données du recensement fédéral pour calculer l'Indice de milieu socio-économique (IMSE), qui sert à déterminer quelles écoles sont situées en milieu défavorisé. Ces établissements profitent d'une plus grande réduction du nombre d'élèves par classe et d'un financement additionnel dans le cadre de la Stratégie d'intervention Agir autrement (SIAA).
Un dernier exemple, cette fois du côté de la France, ou l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) va être intégré en janvier 2011 à l’École normale supérieure de Lyon par le gouvernement Sarkosy. Plusieurs observateurs français voient dans la mort annoncée de l’INRP la disparation de décennies de recherche vouées aux préoccupations des intervenants sur le terrain éducatif. Celles et ceux qui connaissent la Revue française de pédagogie, publiée par l’INRP, ont pu apprécier au cours des années la qualité du travail de cet Institut.
Comme on l’indiquait dans une pétition pour le maintien de l’INRP, cet organisme poursuit plusieurs missions importantes pour le milieu de l’éducation : « diffusion des résultats de la recherche en éducation, évaluation des innovations pédagogiques, expertise opérationnelle acquise sur le terrain grâce aux enseignants associés, actions de formation des enseignants, veille scientifique et technologique, conservation et développement des collections muséographiques et bibliographiques en matière de recherche en éducation ». Ce n’est pas rien tout cela.
« Plusieurs observateurs français voient dans la mort annoncée de l’INRP la disparation de décennies de recherche vouées aux préoccupations des intervenants sur le terrain éducatif. »
Enfin, une nouvelle tendance semble prendre forme, soit la diffusion en catimini des données statistiques permettant de faire des analyses. Le ministère de l’Éducation du Québec est en passe de devenir un maître en la matière. Ce ministère diffuse les données statistiques dans son site de manière peu transparente sur une page intitulée « Nouveauté dans le site ». Or toutes les nouveautés ne se retrouvent pas là car il faut aller vérifier de temps à autre sur une autre page intitulée « Publications – statistique ». Ces deux pages sont peu visibles dans la profusion d’information que l’on retrouve sur le site. Et même en suivant régulièrement l’information diffusée sur ces deux pages, il devient parfois difficile de savoir ce qui est nouveau ou pas. Il serait pourtant si facile de mettre en évidence les nouveautés dans le site du ministère.
Ces initiatives gouvernementales privent les milieux de pratique, les analystes et la population de données qui permettent bien souvent de questionner l’action gouvernementale.
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Quelques productions du programme de recherche des bourses du millénaire
Que savons-nous des parcours et transitions des étudiants canadiens dans les études postsecondaires?
Quelques productions du Conseil canadien sur l’apprentissage
Quelques productions de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP)
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