vendredi 17 décembre 2010

La situation difficile de la recherche en éducation

Cachez ces données que je ne saurais voir
Comme je tiens un blogue sur la recherche en éducation, je suis à même de constater à quel point le paysage de la recherche en éducation est en mutation. Et ce n’est pas fortuit. L’arrivée au pouvoir de gouvernements plutôt conservateurs a signifié un recul pour un certain type de recherche en éducation, celle qui pouvait de temps à autre faire contrepoids aux discours lénifiants de ministres de l’Éducation plus préoccupés par l’image publique de leur gouvernement que par la réussite éducative des jeunes.

« L’arrivée au pouvoir de gouvernements plutôt conservateurs a signifié un recul pour un certain type de recherche en éducation. »

Vous connaissez peut-être la Fondation des bourses du millénaire du gouvernement canadien, programme créé en 1998 et aboli à la fin 2009 par le gouvernement Harper. Outre la distribution de bourses d’études, ce programme comportait une constituante recherche à laquelle participaient des chercheures et chercheurs rigoureux. Ce programme a produit un bon nombre de notes de recherche sur l’accessibilité aux études supérieures au Canada, sur les difficultés vécues par les étudiantes et étudiants universitaires dans leur parcours scolaire et sur les transitions scolaires. Cette expertise est maintenant perdue.
Un peu plus tard, au début 2010, le gouvernement Harper a coupé le financement du Conseil canadien sur l’apprentissage (CCA). Cet organisme, créé en 2004 sous les Libéraux, avait un mandat de soutenir la recherche dans le but d'améliorer l'apprentissage au Canada, de la petite enfance à l'âge adulte, et de lutter contre le décrochage scolaire. Comme le soulignait dans les médias le président du CCA, Paul Cappon, « Pour moi, il est inconcevable que dans une société [moderne] où tout dépend de l'économie du savoir, on ne puisse pas financer une organisation qui donne vraiment des résultats. ». Heureusement, le CCA a décidé de poursuivre ses travaux malgré tout en limitant la production au strict minimum.

« Pour moi, il est inconcevable que dans une société [moderne] où tout dépend de l'économie du savoir, on ne puisse pas financer une organisation qui donne vraiment des résultats. »

La saga entourant l’obligation de répondre au questionnaire long du recensement du Canada (ce qui a été qualifié de « crise du recensement») est encore un autre coup dur pour la recherche en éducation. La démission du statisticien en chef de Statistique Canada en juillet a confirmé l’importance du problème : il affirmait que « cette décision aurait des conséquences catastrophiques pour la recherche et l’évaluation des programmes et des politiques publiques ». Plusieurs données touchant l’éducation risquent d’être perdues ou inutilisables (car non comparables ou peu fiables). 

La nouvelle ministre de l’Éducation du Québec, Line Beauchamp,  a réagi en disant que «l'élimination du questionnaire long obligatoire aurait des conséquences négatives sur une très vaste gamme de données» comme les domaines d'études, le revenu et les caractéristiques du marché du travail. La Centrale de syndicat du Québec (CSQ), regroupant la majeure partie du personnel des établissements scolaires au Québec, a interpellé Stephen Harper sur cette question. Elle rappelait que le ministère de l'Éducation du Québec se base sur les données du recensement fédéral pour calculer l'Indice de milieu socio-économique (IMSE), qui sert à déterminer quelles écoles sont situées en milieu défavorisé. Ces établissements profitent d'une plus grande réduction du nombre d'élèves par classe et d'un financement additionnel dans le cadre de la Stratégie d'intervention Agir autrement (SIAA).
Un dernier exemple, cette fois du côté de la France, ou l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) va être intégré en janvier 2011 à l’École normale supérieure de Lyon par le gouvernement Sarkosy. Plusieurs observateurs français voient dans la mort annoncée de l’INRP la disparation de décennies de recherche vouées aux préoccupations des intervenants sur le terrain éducatif. Celles et ceux qui connaissent la Revue française de pédagogie, publiée par l’INRP, ont pu apprécier au cours des années la qualité du travail de cet Institut. 
Comme on l’indiquait dans une pétition pour le maintien de l’INRP, cet organisme poursuit plusieurs missions importantes pour le milieu de l’éducation : « diffusion des résultats de la recherche en éducation, évaluation des innovations pédagogiques, expertise opérationnelle acquise sur le terrain grâce aux enseignants associés, actions de formation des enseignants, veille scientifique et technologique, conservation et développement des collections muséographiques et bibliographiques en matière de recherche en éducation ». Ce n’est pas rien tout cela.

« Plusieurs observateurs français voient dans la mort annoncée de l’INRP la disparation de décennies de recherche vouées aux préoccupations des intervenants sur le terrain éducatif. »

Enfin, une nouvelle tendance semble prendre forme, soit la diffusion en catimini des données statistiques permettant de faire des analyses. Le ministère de l’Éducation du Québec est en passe de devenir un maître en la matière. Ce ministère diffuse les données statistiques dans son site de manière peu transparente sur une page intitulée « Nouveauté dans le site ». Or toutes les nouveautés ne se retrouvent pas là car il faut aller vérifier de temps à autre sur une autre page intitulée « Publications – statistique ». Ces deux pages sont peu visibles dans la profusion d’information que l’on retrouve sur le site. Et même en suivant régulièrement l’information diffusée sur ces deux pages, il devient parfois difficile de savoir ce qui est nouveau ou pas. Il serait pourtant si facile de mettre en évidence les nouveautés dans le site du ministère.
Ces initiatives gouvernementales privent les milieux de pratique, les analystes et la population de données qui permettent bien souvent de questionner l’action gouvernementale.
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Quelques productions du programme de recherche des bourses du millénaire

Quelques productions du Conseil canadien sur l’apprentissage

Quelques productions de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP)
 

mercredi 15 décembre 2010

En éducation, pour être efficace, il faut d’abord être équitable*

Afin de rendre le système éducatif québécois plus efficace, les tenants de l’idéologie néolibérale préconisent depuis trente ans l'accroissement de la concurrence et de la sélection scolaires. Cette thèse bat de l’aile aujourd’hui. En fait, il semble que les systèmes d’éducation qui font réussir plus d’élèves sont souvent ceux qui mettent en place des mesures fondées sur l’équité. Ainsi, se pourrait-il qu’il faille d’abord être équitable avant d’être efficace ?

Depuis les années 1980, les tenants du néolibéralisme en éducation tentent de nous convaincre que la réussite des élèves passe par des mesures fondées sur l’efficacité (choix de l’école, gestion par les résultats, concurrence entre les écoles privées et publiques, programmes pédagogiques sélectifs pour les élèves performants, sélection scolaire précoce, palmarès des écoles, etc.). Pour les promoteurs de cette idéologie, c’est en choyant l’élite scolaire qu’il devient possible de tirer tous les élèves vers le haut et ainsi favoriser la réussite du plus grand nombre. En somme, pour eux, l’équité passe d’abord par l’efficacité.

Sous l’impulsion d’enquêtes internationales des systèmes d’éducation, il s’est opéré au début des années 2000, un renversement de perspective sur la question de l’école efficace. On peut penser ici aux données tirées du Programme international de suivi des acquis des élèves (PISA) géré par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et administré dans plus d’une trentaine de pays auprès d’élèves de 15 ans[1]

Les résultats de ces enquêtes ont amené l’OCDE, organisme faisant pourtant la promotion de la concurrence en éducation et de la sélection scolaire, à admettre que les mesures fondées uniquement sur l’efficacité ne donnent pas les résultats escomptés. Dans un document intitulé Pour en finir avec l’échec scolaire. Dix mesures pour une éducation équitable, l’OCDE indique que les systèmes d’éducation qui cherchent à être efficaces doivent mettre aussi en place des mesures d’équité (formation commune longue, mesures compensatoires pour les élèves en difficultés, absence de sélection précoce dans des filières de scolarisation peu prometteuses, etc.).

Ces dernières années, un pas supplémentaire a été fait dans ce renversement de perspective. Les données indiquent de plus en plus que non seulement les écoles doivent être efficaces et équitables en même temps, mais qu’en fait, pour être efficaces, elles doivent d’abord être équitables. Les systèmes éducatifs misant fortement sur l’égalité de traitement de tous les jeunes dans l’école ainsi que sur des mesures qui réduisent les écarts de réussite scolaire entre les élèves, font généralement meilleure figure que ceux qui encouragent la concurrence entre les écoles, la compétition entre les élèves et la sélection précoce. La Finlande et l’Écosse sont exemplaires à ce chapitre.

La Finlande est reconnue pour avoir un système éducatif à la fois équitable et efficace. Cette réussite tient à de nombreux facteurs comme une prise en charge très précoce des élèves en difficulté scolaire et une aide individualisée à ces mêmes élèves. De plus, la Finlande n’encourage pas le développement d’écoles privées concurrençant les écoles publiques et évite toute orientation précoce en établissant une formation commune pour tous les élèves dans le cadre de la scolarité obligatoire. Pour sa part, l’Écosse aussi obtient régulièrement d’excellents résultats au test PISA et son système scolaire est considéré comme l’un des plus équitables par l’OCDE. L’Écosse se démarque également par une volonté de ne pas encourager la concurrence scolaire en ne finançant pas les écoles privées[2].

Et qu’en est-il au Québec ? La province se classe très bien dans le test PISA. Pourtant, le Québec encourage de plus en plus la mise en place des mesures d’efficacité pour assurer la réussite du plus grand nombre d’élèves (concurrence entre les écoles, sélection de plus en plus précoce des élèves dans des programmes particuliers, obligation de résultat, etc.). Ces tendances ont de quoi inquiéter. Le Québec accuse d’ailleurs depuis 2000 un léger recul dans les tests PISA, alors que l’Ontario, qui ne finance pas ses écoles privées et n’encourage pas la sélection scolaire, gagne du terrain. De plus, le Québec fait piètre figure en ce qui a trait au sort réservé à ces jeunes de 15 ans qui performent bien dans les tests PISA, mais dont près d'un élève sur cinq ne parvient pas à obtenir un diplôme d’études secondaires avant 20 ans.


[1] PISA teste les compétences des élèves de 15 ans en lecture, en mathématiques et en sciences tous les trois ans depuis 2000.
[2] À l’inverse, des systèmes éducatifs se démarquent en étant à la fois inefficaces et inéquitables comme c’est le cas de la France ou de la Belgique.
 
* Je reprends ici un texte que j'ai publié dans la revue À babord, été 2010.

mardi 9 novembre 2010

La déséducation: une utopie anarchiste?

C’est quoi la déséducation ?

Ce sont seize webépisodes (capsules vidéos sur le Web) d’une quinzaine de minutes chacun et qui portent sur différents aspects de l’éducation prise dans son sens large. Le premier webépisode a été diffusé le jeudi 4 novembre et a porté sur la formation des enseignantes et enseignants. Les autres épisodes seront diffusés tous les jeudis (11 novembre, 18 novembre, etc.) sur le site internet de la déséducation (www.ladeseducation.ca) et sur Youtube. Le jour précédent chaque diffusion, un lancement de la webépisode est organisé. Le lancement de cette semaine se fera au Tam-Tam café à Québec.

Les autres sujets abordés ne sont pas connus. Cependant, si on se fie aux entrevues données par l’auteur et aux commentaires glanés ici et là sur les médias sociaux (Facebook, Twitter, blogues), on devrait y parler des parents, du personnel enseignant, du personnel de direction, etc.

Les huit premiers épisodes décrivent les problèmes en éducation, les huit autres parleront des solutions.Le projet est financé à la hauteur de 65 000 $, dont 5 000 $ provient de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE).

C’est qui la déséducation ?

Mathieu Côté-Desjardins est un jeune enseignant de 26 ans, suppléant à la CSDM. Son projet se construit sur sa désillusion par rapport à sa formation universitaire au baccalauréat en enseignant et à sa déception comme enseignant dans une école. Il travaille depuis trois ans à construire son documentaire et à glaner ici et là des entrevues avec des personnalités québécoises.

C’est comment la déséducation?

La déséducation, c’est d’abord une excellente stratégie de communication qui utilise les médias sociaux pour mousser l’intérêt envers le projet. Officiellement, dès le 27 septembre, un site internet et des comptes Facebook et Twitter ont été créés pour informer du lancement prochain de la série. Et on n’a pas hésité à utiliser un ton racoleur pour stimuler l’intérêt. Par exemple, on dit dans la bande-annonce qu’un « jeune enseignant lèvera le masque d’une des plus grandes supercheries de l’histoire ». Rien de moins.

Et ça marche. Plusieurs blogueux, facebookeux et twitteux d’abord, les grands quotidiens ensuite et la radio-télévision enfin se sont emparés de la nouvelle. La radio/télévision, surtout celle qui fait dans la nouvelle-spectacle, parlait déjà de série-choc (Mario Dumont, LCN, TVA-Canoë), sans même avoir vu un épisode.

Si la stratégie de communication est excellente, le contenu par contre laisse vraiment à désirer. La manière dont l’auteur défini la déséducation laisse déjà entrevoir ce à quoi on pourra s’attendre. Pour Côté-Desjardins, la déséducation c’est « la propagation d’une ignorance programmée et structurée pour tenir les personnes en état d’inconscience ».

Impossible pour le moment de dire comment sera l’ensemble de ce plaidoyer, mais si on se fie au premier épisode, qui a porté sur la formation des maîtres, on peut penser que nous aurons un portrait très noir de l’éducation au Québec. Le contenu du premier épisode était anecdotique, on y a cultivé le fait divers, on a monté en épingle des insignifiances, on a « distorsionné » allégrement ce qui demandait à être nuancé. Si les sept autres épisodes sont de même nature, on pourra dire que nous avons là un portrait fort impressionniste des problèmes en éducation, fondé sur nombre de lieux communs.

C’est pourquoi la déséducation ?

L’auteur des webépisodes est affirmatif sur ce point : il fait tout cela pour stimuler le débat. Peu importe que le traitement de la websérie soit délibérément noir, ce qui importe pour l’auteur, c’est de créer un débat autour de l’éducation au Québec.

Cette volonté de vouloir susciter le débat coûte que coûte est une technique utilisée régulièrement par la droite (ADQ, radio-poubelle, Réseau Liberté-Québec, etc.) pour faire passer ses idées. Le modus operandi est connu : on alerte la population sur l’urgence de revoir nos façons de faire ; on dépeint la situation de façon catastrophique ; on propose ensuite des solutions très simples. En fait, on crée des problèmes fictifs et on offre des solutions simplistes.

Et, nous avons peu de pognes sur cela, dans la mesure où on nous montre les problèmes en premier (les huit premiers épisodes) et les solutions après (les huit derniers épisodes). Ce qui nous oblige à attendre que le portrait soit complètement noirci avant de pouvoir réagir sur les solutions proposées. Très efficace comme méthode de persuasion.

L’exemple du documentaire Waiting for Superman, qui a été diffusé aux États-Unis dernièrement, est emblématique de cette façon de faire. On dépeint l’éducation publique de la façon la plus noire possible, on montre comment l’État et les fonctionnaires de l’éducation sont une bonne partie du problème, on fait peur aux gens et puis on propose la solution qui s’impose : privatiser l’éducation en la finançant avec des fonds publics. En somme, un beau plaidoyer pour les écoles à charte.

Dans le cas de la déséducation, on peut déjà se faire une idée de ce qui sera proposé comme solution : les écoles radicales libres. C’est quoi cette bibitte-là ! Voici le descriptif de l’école libre de Montréal : « À l'École Libre de Montréal, les enfants sont libres de poursuivre leurs propres intérêts, d'explorer à leur rythme et ils participent à une communauté démocratique. Les enfants sont considérés capables de s'autodiriger et d'apprendre par eux-mêmes, ils sont encouragés à découvrir leurs propres désirs d'apprentissage, ils sont encouragés à explorer, questionner, découvrir et grandir ! Les adultes impliqués ont une fonction de mentor, de guide et servent de personnes ressources pour faciliter les projets des enfants. » Les libres enfants de Summerhill, en somme.

Cette initiative est près du courant anarchiste. Dans ce courant, l'école est considérée comme un conditionnement dont il faut se défaire; l'éducation doit se faire en dehors de l'école et elle doit favoriser la liberté individuelle des élèves jusqu'à l'insubordination.

J'aime bien les utopies car elles ont été et sont toujours porteuses d'espoir et de changements (les expériences autogestionnaires, par exemple). En même temps, rien ne me prouve aujourd'hui qu'elles pourraient permettre de régler nos problèmes en éducation.


dimanche 31 octobre 2010

Guy Rocher et le financement public des écoles privées

« Nous avons besoin d’un mouvement social » 


Guy Rocher
J’ai le sentiment que le vent tourne présentement au Québec concernant les écoles privées, tant en matière de financement que de responsabilité sociale. La volonté exprimée par la ministre Beauchamp la semaine dernière sur le rôle que devrait jouer dorénavant les écoles privées dans l’intégration des élèves en difficulté en est un exemple. Madame Beauchamp demande que ces écoles assument une plus grande part de responsabilité sociale dans l’intégration des élèves en difficulté, ce qui n’est pas le cas présentement.

Je participais vendredi dernier à un colloque du CAPRES où le sociologue bien connu Guy Rocher donnait une conférence sur l’évolution et la situation actuelle de l’éducation au Québec. Membre de la commission qui a produit le fameux Rapport Parent, véritable « bible » de la modernisation du système d'éducation au Québec dans les années 1960, Monsieur Rocher est un analyste de longue date de l’éducation québécoise.

Dans une envolée très bien sentie, Monsieur Rocher s’en est pris à ce qu’il considère comme une erreur importante dans notre manière de financer l’éducation au Québec. Il désespère de voir comment on ne valorise pas assez l’école publique et que l’on continue à financer avec des fonds publics les écoles privées. Il a cité à quelques reprises l’article d’Antoine Baby, publié dans Le Devoir dernièrement.

Dans cet article, Baby parle de la publicité trompeuse des écoles privées et de la triple sélection (sélection à l’entrée, sélection en cas d’échec et sélection selon la fortune) opérée par ces mêmes écoles. Pour Guy Rocher, la sélection des élèves par les écoles privées appauvrit de plus en plus les écoles publiques où les élèves sont de moins en moins stimulés.

«... la sélection des élèves par les écoles privées appauvrit de plus en plus les écoles publiques où les élèves sont de moins en moins stimulés.»

Guy Rocher a le sentiment très net que nous faisons un retour en arrière avec cette question du privé en éducation, un retour à une période où les inégalités scolaires en éducation étaient très grandes, où le système d’éducation québécois n’avait pas encore opéré sa démocratisation. Et les données disponibles semblent lui donner raison. En 1961, la part des élèves inscrits dans les écoles privées s’élevait à 19,6 %; en 2008, cette part s’élevait à 18,3 % après avoir chuté à tout près de 5 % dans les années 1970.




Pour Guy Rocher, il faut revoir toute la question du financement de l’éducation au Québec et surtout réduire le financement public des écoles privées québécoises au Québec. Plus encore, il souhaite que les écoles privées soient soumises aux mêmes obligations que les écoles publiques, c’est-à-dire accueillir en autre tous les élèves qui se présentent à leur porte. Enfin, il appelle à la création d’un large mouvement social autour de cette question et il pense que les acteurs syndicaux pourraient être des joueurs importants dans cette aventure.

***

Guy Rocher développe semble-t-il cet argumentaire dans des entretiens qu’il a accordé à son neveu François Rocher et qui ont pris la forme d’une publication sous le titre Guy Rocher : Entretiens aux éditions Boréal. Je crois que je vais lire attentivement cet ouvrage.


Source de la photo: Le Devoir
Graphique: Compilation de Jacques Tondreau

vendredi 22 octobre 2010

Des milliers de décrocheurs scolaires en moins au Québec

Comment faire parler « autrement » les données statistiques

Comme les oiseaux migrateurs de retour de leur habitat hivernal, à chaque début d'été au Québec, arrivent les résultats aux épreuves uniques administrés par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) aux élèves des écoles secondaires. Le document, qui compile les résultats des élèves par matière (français, mathématiques, etc.) comportait jusqu'à cette année une annexe (l'annexe 10) dans laquelle on retrouvait une estimation du taux de diplomation par commission scolaire et selon le genre.

Ai-je besoin de dire que c'était un document attendu par bien des gens car il permettait aussi de comparer les écoles en fonction des résultats de leurs élèves. Ce sont ces données que l'Institut économique de Montréal ainsi que le Journal de Montréal et le Journal de Québec utilisent pour produire leur palmarès respectif des écoles secondaires.

Ma surprise a été grande cette année car la fameuse annexe 10 avait disparu du document principal. Plus de possibilité de savoir quel était le taux de diplomation et, par la même occasion, d'avoir une idée du taux de décrochage scolaire. Afin d'en avoir le cœur net, j'ai appelé un responsable de la statistique au MELS pour lui demander ce qui se passait. Réponse laconique: «les donnés vont arriver plus tard dans un document à part». Je lui demande pourquoi : «Heu ! bien... vous voyez... c'est que... peut-être...». Finalement, je n'ai pas eu de réponse.

Ce n'est que plus tard que l'on apprenait dans les journaux que le MELS s'apprêtait à utiliser une nouvelle manière de calculer les taux de décrochage au Québec. Auparavant, la mesure du décrochage était établie à partir des inscriptions des élèves effectuées jusqu’à la fin de janvier. Dorénavant, le MELS produira une mesure du décrochage qui prend en considération toutes les inscriptions jusqu’à la fin de l’année. La démarche méthodologique demeure la même, il n’y a que le moment de la lecture des données qui est repoussé de la fin de janvier à la fin du mois d’août.

En agissant ainsi, le MELS se mettait une fois de plus en position d'être vertement critiqué par plusieurs analystes. Certains ont vu là une manière pour lui d’embellir la situation du décrochage et de se servir de cela politiquement pour indiquer à la population que ses initiatives en matière de persévérance scolaire fonctionnent. Je suis convaincu que le MELS utilisera effectivement cela pour se faire du capital politique. Mais ça, c’est de bonne guerre.

Toutefois, je pense que ce débat n’est pas très important. Que le MELS calcule d’une façon ou d’une autre son taux de décrochage scolaire ne fera pas disparaître par magie les jeunes qui décrochent. Et à la limite, le MELS aurait pu utiliser la méthode de calcul de Statistique Canada qui regarde le nombre de jeunes qui n’a pas obtenu de diplôme et qui n’est plus à l’école dans le groupe des 20-24 ans. Avec cette mesure, le taux de décrochage passe au Québec de 25% à 11%. 

Mais si on se compare sur cette base aux autres provinces canadiennes, le Québec est en avant-dernière position dans le classement, ce qui n’est pas la situation idéale, vous en conviendrez. Ainsi, quelle que soit la méthode de calcul, avantageuse ou pas pour l’image du MELS, il est toujours possible de se faire une idée assez juste de la «performance» du Québec en matière de décrochage scolaire.

Maintenant, qu’en est-il du décrochage scolaire au Québec avec la nouvelle méthode de calcul du MELS? Voyons les données.


 


On a donc réussi à diminuer instantanément le décrochage scolaire de 5 points de pourcentage ou autrement dit une diminution de 20%. Sur 28 000 décrocheurs chaque année, cela représente 5 600 jeunes en moins dans les statistiques du décrochage. Voici donc 5 600 jeunes qui n’ont pas encore été diplômés et qui sont toujours sur les bancs de l’école. Obtiendront-ils finalement ce fameux diplôme? C’est une histoire à suivre.

mercredi 20 octobre 2010

Trois hormones de croissance pour les réseaux sociaux

Partage, reconnaissance et efficacité 

J’avoue que je suis fasciné et préoccupé à la fois par la montée fulgurante du numérique dans la vie de tous les jours. Les impacts positifs et négatifs des réseaux sociaux restent largement à explorer, notamment en ce qui a trait aux formes de la sociabilité, ces manières qu’ont les gens d’entrer en contact, de communiquer et d’échanger.

C’est à cette tâche que nous convie le dernier ouvrage du sociologue Antonio Casilli: Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité? La sociologie a-t-elle quelque chose à dire sur cette question? Sans doute! Et ce regard porte autant sur la consommation, la santé et la politique que sur l’éducation, l’amour et l’amitié.

L’espace, le corps et le lien social

L’analyse de l’auteur porte sur trois axes: l’espace (rapport au territoire), le corps (photos, avatars) et le lien social (amitié, amour, reconnaissance). C’est sur ce dernier élément que le livre m’interpelle le plus, sur cette possibilité, à travers des liaisons numériques, de «construire une sociabilité forte basée sur des liens faibles».

Pour Casilli, les échanges en ligne ne remplacent pas les rencontres réelles, elles s’y ajoutent. L’ordinateur et Internet modifient certes nos rapports à l’autre dans l’espace public, mais ils transforment également, et de manière significative, nos rapports dans l’espace privé. Éléments technologiques devenus presque indispensables dans la plupart des foyers des pays occidentaux, l’ordinateur et Internet reconfigurent les liens familiaux, les relations de couple, la manière de vivre son célibat.

Donner, recevoir et rendre: le potlatch numérique

Tout réseau social se maintiendrait et évoluerait par le don, et ses utilisateurs sont tenus d’échanger. Ces principes, à la base des liens sociaux dans les sociétés archaïques (donner, recevoir, rendre ou l’obligation d’échanger), continuent d’opérer dans un cadre d’utilisation des technologies modernes: «Un futur utopique a été préfiguré par le passé tribal» dit Richard Barbook que cite Casilli. Ces échanges en réseau, qui renvoient à une logique de coopération, s’opposeraient entre autres à une logique de concurrence, qui est typique du marché.

À cette question du don se greffe deux autres éléments qui permettent aux réseaux sociaux de perdurer: la reconnaissance et l’efficacité. Dans un réseau social, plus on donne, plus on est connu et reconnu. La soif de prestige en pousserait plus d’un à s’investir en partageant. Enfin, un partage abondant et de qualité, qui suscite des commentaires, procure un sentiment d’efficacité.

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Ces quelques éléments tirés de la lecture des premières pages du livre sont éclairants pour mieux comprendre pourquoi les réseaux sociaux gagnent en popularité et pourquoi ils perdurent. Casilli aborde nombre d’autres aspects des liaisons numériques comme la recomposition du militantisme politique, les formes de mobilisation sociale, les amitiés en ligne, etc. J’aurai l’occasion d’y revenir.