mardi 19 avril 2011

« L’enseignement se présente comme une véritable profession » (Office des professions du Québec)

Autour de la pertinence d'un ordre professionnel des enseignantes et des enseignants au Québec

Au Québec, l’idée de pourvoir le personnel enseignant d’un ordre professionnel a fait couler beaucoup d’encre pendant plusieurs années, notamment de 1996 à 2002. Rappelons qu'en 1996, lors des États généraux sur l’éducation, un débat avait eu lieu sur la pertinence de créer un tel ordre. Toutefois, dans son rapport final, la Commission des états généraux n’avait pas jugé pertinente la création de ce nouvel organisme d’encadrement. Elle proposait plutôt un mécanisme léger d’évaluation institutionnelle, qu’elle qualifiait de voie « plus prometteuse ».

Parmi les principaux auteurs porteurs de cette idée dans le milieu universitaire du Québec, mentionnons Maurice Tardif et Clermont Gauthier, qui souhaitaient que la professionnalisation du personnel enseignant prenne une forme juridique. Parmi les organisations professionnelles, le Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec (CPIQ) demande officiellement la création d’un ordre professionnel en juin 1997 à l’Ordre des professions du Québec (OPQ). Le CPIQ rencontrera une vive opposition de la part de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui considère que la profession enseignante est déjà suffisamment encadrée et qu’elle fonctionne en pratique comme un ordre professionnel.

Plus précisément, les promoteurs d’un ordre professionnel soutiennent que ce type d’organisation de la profession enseignante permet une meilleure protection du public contre les fautes commises par une enseignante ou un enseignant, l’élaboration de mesures d’évaluation des compétences du personnel enseignant, l’élaboration d’un code d’éthique, une reconnaissance plus grande de la profession, l’assurance d’une plus grande qualité en éducation et la reconnaissance d’une autonomie professionnelle.

Du côté des opposants à l'Ordre professionnel pour le personnel enseignant, on indique que la Loi sur l’instruction publique (L.I.P.) et les autres encadrements en éducation contiennent déjà tous les éléments nécessaires pour assurer la protection du public (en l’occurrence, les élèves), notamment une procédure pour formuler une plainte à la ministre de l’Éducation en cas de faute grave d’un membre du personnel enseignant et une procédure de plainte au sein de la commission scolaire pour l’élève ou le parent qui souhaite se faire entendre dans le cadre d’un litige avec une enseignant ou un enseignant.

Toujours selon les opposants, la formation des maîtres n’est pas accessible à tous, car un tri sélectif se fait à l’entrée dans la formation, il faut accomplir 700 heures de formation pratique et il est nécessaire d’obtenir un permis légal pour enseigner au Québec. Enfin, la L.I.P. détaille huit obligations juridiques pour le personnel enseignant, notamment celles « de prendre des mesures appropriées qui lui permettent d’atteindre et de conserver un haut degré de compétence professionnelle »  et  « d’agir d’une manière juste et impartiale dans ses relations avec ses élèves ».

La décision rendue par l’Office des professions du Québec confirme les prétentions des opposants à la création d’un ordre professionnel des enseignantes et enseignants. Dans un avis de décembre 2002, l’Office reconnaît que « l’enseignement se présente comme une véritable profession selon le Code des professions » (Office des professions du Québec). L’Office indique également que sur le plan des connaissances requises, l’acte d’enseigner suppose des qualités, des connaissances et des habiletés que tout le monde n’a pas. Sur le plan de l’autonomie, le système d’éducation édicte des balises, intervient dans l’organisation du travail et oblige à une reddition de comptes. Sur le plan des relations, enseigner suppose des relations avec un fort lien de confiance. Sur le plan de la confidentialité des renseignements, l’enseignante ou l'enseignant doit accéder à des renseignements confidentiels. Sur le plan du préjudice ou des dommages, « l’absence de contrôle de la compétence et de l’intégrité expose à des risques incontestables, et ce, même si la preuve des dommages demeure difficile à faire, notamment lorsqu’il est question du développement intellectuel et affectif d’un élève ».

Dans une conférence donnée en 2007, l’ancien sous-ministre adjoint à l’éducation, Robert Bisaillon, disait à des enseignantes et enseignants du primaire  qu’il « n’y a pas de profession enseignante au Québec ». La déclaration avait un petit côté provocateur, s’adressant à des gens convaincus d’être des professionnels. En apparence, disait-il, enseigner est un acte professionnel puisque cela demande des connaissances particulières, qu’il est possible de causer un préjudice à un élève par manque de compétence et que le personnel enseignant a accès à des renseignements confidentiels. Ce qui pose problème, c’est la question de l’autonomie professionnelle : « Actuellement, tout le monde vous dit quoi faire. Tous les maux de l’éducation sont de votre faute. […] Les médecins ne toléreraient jamais de se faire dire par le ministre de la Santé comment remplir les ordonnances de leurs patients. »

Depuis la fin du débat sur la profession enseignante, des changements législatifs sont venus encadrer encore plus le travail du personnel enseignant. On peut penser, par exemple, à la vérification des antécédents judiciaires (2005) et à la création, au sein des commissions scolaires, d’un poste de protecteur de l’élève (2009).


2 commentaires:

  1. Ainsi, un enseignant a l'obligation juridique « de prendre des mesures appropriées qui lui permettent d’atteindre et de conserver un haut degré de compétence professionnelle ».

    J'en suis bien heureux.

    Mais je constante trop souvent que traine dans nos écoles de vieux profs qui ne savent pas prendre un courriel, qui utilisent les mêmes polycopies depuis plus de 10-15 ans et qui gère la classe en intimidant les élèves. Alors, je me demande qui fait appliquer la loi? Est-ce qu'un ordre le ferait? Probablement pas plus que les directions, CS ou les syndicats.

    Personne ne va voir ce qui se passe en classe et c'est dommage. Nous pourrions reconnaitre les pratiques exemplaires de beaucoup d'enseignants et éviter à nos jeunes de souffrir sous l'autorité de maitres d'une autre époque.

    Pardonnez-moi de garder l'anonymat, mais j'ai peur qu'un vieux prof tombe miraculeusement sur mon commentaire et décide de casser du jeune.

    Signé: un précaire qui s'investit.

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  2. Bonjour Monsieur Tondreau,

    Je lis tous les articles qui me tombent sous la main afin de me faire une idée sur le sujet, mais à faire du terrain actuellement dans une CS et ses écoles, je trouve votre article très vertueux. Comme dirait le prof titulaire du groupe de recherche: "il y a la loi, les règlements et l'application réelle qu'on en fait". C'est triste, mais l'intervention d'"un précaire qui s'investit" est en partie vraie excepté que le profil du prof qui "traîne" n'est pas une dychotomie jeune/vieux... Bref, les rôles et responsabilités sont énumérés dans des documents légaux et administratifs, mais leur application varie selon l'interprétation des... individus et/ou des groupes qui s'affrontent dans les milieux.

    C'est pourquoi j'ai un très fort doute sur le fait qu'actuellement "l’enseignement se présente(rait) comme une véritable profession selon le Code des professions".

    Enfin, je mettrais d'immenses bémols sur les propos de M. Bisaillon à l'effet que "tout le monde" dit quoi faire aux enseignants. Ils sont libres d'utiliser les méthodes pédagogiques qu'ils désirent et de se former (formation continue) ou non... Ultimement, ils sont libres de se mettre en mouvement ou non.

    Une réflexion à poursuivre!

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