jeudi 1 novembre 2012

De quoi le Québec a-t-il besoin en éducation ?


C’est le titre d’un ouvrage paru hier sous la direction de Jean Barbe, Marie-France Bazzo et Vincent Marissal et qui comprend la contribution de onze personnes. Chacune d’elles a eu à répondre à huit questions dont, entre autres :

  • Que devrait savoir un jeune en sortant du secondaire ?
  • Quel est le rôle de l’école, du primaire à l’université ?
  • Écoles privées ou écoles publiques ?
  • Pourquoi y a-t-il encore du décrochage ?

J’ai lu l’ouvrage avec attention et intérêt. J’y ai lu quelques bonnes analyses et idées, mais j’ai plusieurs déceptions. Cet ouvrage ne permet pas de répondre à la question qu’il pose.

Quelques mots sur la forme

Deux petites choses sur la forme avant de passer au fond. D’abord le titre. Quelle question bizarre. Il aurait été plus pertinent de se demander quelle éducation voulons-nous pour le Québec ? Ou encore, qu’est-ce que le Québec peut faire pour se donner une éducation à la hauteur de ses aspirations ? L’éducation doit répondre d’abord aux besoins des jeunes et des adultes en formation, le Québec y trouvera son compte par la suite. Puis, on indique sur la pochette du livre qu’il s’agit d’un recueil d’entretiens. Il s’agit plutôt d’un recueil de textes, car on ne retrouve aucun entretien dans cet ouvrage.

Et une appréciation du contenu

Sur le fond maintenant. Les auteurs du collectif viennent d’horizons divers. Ils ont une connaissance et une expérience plus ou moins grande des réalités éducatives au Québec. Cette diversité est intéressante, car elle permet de lire des points de vue contrastés. Toutefois, il apparaît vite à la lecture de l’ouvrage que la qualité du propos est aussi très variable. Si quelques bonnes idées sont avancées parfois, si l’analyse peut agréablement surprendre dans certains cas, pour l’ensemble, on est devant l’expression d’opinions, sans plus, sur l’éducation au Québec. Pire, on a droit à l’expression à plusieurs moments de lieux communs, de stéréotypes, d’anecdotes présentées comme des faits généralisables ou encore montés en épingle. C’est sans compter les affirmations à l’emporte-pièce qui laissent pantois, venant de gens qui côtoient le milieu de l’éducation depuis de nombreuses années. Dans certains cas, les réponses n’ont visiblement pas de rapport avec la question.

Fort heureusement, il y a quelques beaux morceaux de texte qui sont visiblement appuyés sur une analyse plus réfléchie. Les réponses de Normand Baillargeon aux questions sauvent définitivement l’ouvrage. Merci mille fois Monsieur Baillargeon, toujours un plaisir de vous lire. Avec sa vaste expérience du système scolaire, Guy Rocher répond à chacune des questions avec un regard certain. Un économiste, Ianick Marcil, blogueur au Voir, et Maryse Perreault, nous offre également une analyse intéressante, même si je suis parfois en désaccord avec leurs propos. Des déceptions : Fabienne Larouche dont il est difficile de suivre le propos tellement il est éclaté et peu pertinent ; Robert Bisaillon qui possède pourtant une vaste expérience du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) aurait pu en profiter pour nous instruire sur les paradoxes des politiques éducatives du Québec. Au lieu de cela, il tombe dans un antisyndicalisme primaire. Il n’est d’ailleurs pas le seul.

Quelques éléments de contenu

L’ouvrage débute mal. Marie-France Bazzo nous dit que « le Québec se fout de l’éducation ». C’est une affirmation alambiquée. Certes, il est vrai que l’éducation dans les médias ne fait qu’un maigre 0,18 % de toutes les nouvelles et que la majorité de ce 0,18 % concerne les structures. On parle plus de cuisine, 28 fois plus en fait que l’éducation. On peut imaginer facilement que le sport dépasse très largement l’éducation dans les médias. Comme dans le temps des Romains, c’est le pain et les jeux qui comptent.

Mais si vous demandez à des parents et à des grands-parents ce qu’ils pensent de l’enseignante ou de l’enseignant de leurs enfants et petits-enfants, vous aurez un autre son de cloche, probablement plus positif et intéressé. Si vous leur demandez ce qu’ils pensent de leur école, vous aurez déjà une réponse plus distante. Si vous leur demandez enfin ce qu’il pense de l’éducation en général, vous n’entendrez plus rien ou on vous répètera ce que les médias en disent, c’est-à-dire pas grand-chose. Et je ne critique pas ici Barbe, Bazzo et Marrissal, je considère qu’ils font des efforts plus que louables pour faire « monter d’une coche » le niveau de réflexion dans les médias au Québec. Je pense plus ici au junk food médiatique servi par des journaux complaisants ou des radios poubelles qui dépeignent l’éducation publique comme une des sept plaies d’Égypte.

Quand Robert Bisaillon nous dit qu’« on vit actuellement des phénomènes d’exclusion créés par le système, mais on prétend en même temps que l’école est pour tous », j’aurais souhaité qu’il nous parle du rôle des politiques éducatives dans cette situation et du rôle qu’il a joué lui-même comme sous-ministre adjoint dans le développement de ces politiques. Au lieu de cela, on apprend que le Parti libéral a « gossé » les politiques mises en place par le Parti québécois, que les programmes par compétences ne sont pas appliqués et que la culture professionnelle n’existe pas chez les enseignantes et les enseignants. Bon, il y a du vrai dans tout cela, mais pour un acteur aussi important, on se serait attendu à une analyse plus en profondeur.

Je suis agréablement surpris de lire Ianik Marcil qui s’inquiète de la place que prend la culture du chiffre en éducation sous l’impact de la gestion axée sur les résultats. Je suis surpris que quelqu’un de l’extérieur à l’éducation puisse déceler les dangers de cette approche en éducation lorsqu’elle est utilisée tout de travers alors que celles et ceux qui sont à l’intérieur du système éducatif ne soulèvent pas cette question. En ce qui me concerne, la gestion axée sur les résultats utilisée dans les établissements scolaires présentement est une menace à la culture générale et au développement des enfants. Je ne veux pas pour les enfants du Québec un système éducatif qui ne pense que pression à la performance, cibles à atteindre, sans égard aux moyens dont disposent celles et ceux qui font l’éducation au quotidien.

J’aime bien aussi l’idée de Mario Asselin de l’écriture en public. Il me semble que cette idée est porteuse et pourrait favoriser la réussite d’un plus grand nombre d’élèves. Que des jeunes fassent des travaux scolaires en ayant en tête que les résultats de leurs efforts pourront être appréciés sur un blogue, par exemple, constitue en effet une motivation très forte à entrer dans les apprentissages, quel que soit le niveau de l’élève. Certes, les élèves plus faibles auront besoin d’un coup de main plus grand pour les aider à cheminer dans des démarches de la sorte, mais j’ai confiance qu’ils pourraient en retirer beaucoup.

Sur l’antisyndicalisme primaire qui est affiché par certains dans l’ouvrage

Je pense qu’il est plus facile de chercher des coupables aux maux de l’éducation que de proposer des avenues pour une meilleure éducation. Je travaille pour une organisation syndicale et je peux donc voir de l’intérieur ce qui s’y passe. Rien n’est parfait, c’est vrai dans le milieu du syndicalisme enseignant, dans les commissions scolaires, chez les directions d’établissement, au MELS, chez les enseignantes et les enseignants, les parents et les élèves. Facile de s’entendre là-dessus. Mais quand on utilise des faits divers pour discréditer le syndicalisme enseignant, quand on impute aux syndicats enseignants des réalités qui ne les concernent pas, je trouve cela déplorable, comme je trouve déplorable les gens qui critiquent les directions d’établissement, les commissions scolaires ou le Ministère sans savoir vraiment comment les choses se passent.

Par exemple, Robert Bisaillon affirme dans l’ouvrage que : « Les milieux où il y a des syndicats purs et durs sont les milieux où il y a le plus d’enfants au privé. Pourquoi ? Les syndicats ont tenu pendant vingt ans un discours selon lequel on ne pouvait pas donner une éducation de qualité au public à cause des compressions, du manque de ressources, etc. »

Il me semble qu’entre la cause et l’effet, il y a deux ou trois éléments à considérer. C’est en milieu urbain qu’on retrouve le plus d’écoles privées, c’est en milieu urbain qu’il y a le plus de concurrence entre les écoles, c’est en milieu urbain qu’on retrouve les plus gros syndicats, les mieux outillés également pour critiquer certaines aberrations de politiques éducatives mises en place, c’est en milieu urbain que les problèmes de l’école sont les plus criants, car c’est aussi en milieu urbain que les défis de l’école sont les plus grands (pauvreté, multiethnicité, etc.). C’est le genre de variables que j’intercalerais entre l’exode vers le privé des élèves du public et le discours des syndicats afin d’expliquer les liens entre la cause et l’effet.

Un autre exemple nous est fourni par Mario Asselin, qui monte en épingle un fait anecdotique. Pour Asselin, c’est de l’enthousiasme qui manque en éducation, c’est ce dont l’éducation aurait le plus besoin. Mettons. Mais ça se gâte quand il affirme ironiquement que les syndicats en ont eu de l’enthousiasme envers la réforme « quand ils faisaient leur procession avec les nouveaux programmes de formation dans le cellophane, pas ouverts, et qu’ils paradaient pour aller les porter dans le container ». Avec de telles déclarations, on passe d’un antisyndicalisme primaire à un antisyndicalisme primitif. Asselin n’est pas sans savoir que la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) ont été critiques de la réforme, mais ne l’ont pas rejetée. Ces organisations syndicales ont travaillé en mode propositions auprès du MELS afin d’atténuer les principaux irritants de cette réforme.

3 commentaires:

  1. Nous n'y arriverons jamais. Le débat sur l'éducation est navrant de nombrilisme. Chacun y met ses frustrations d'intello sans sortir des mots. Un discours de divorcés en chicane.
    Pendant ce temps, les enfants qui n'ont pas de pédagogie (oui elle existe ailleurs qu'à l'école)à la maison, doivent se lécher la patte. L'éducation ne se fait pas à l'école.
    Sauf exceptions de plus en plus rares,au mieux, l'école instruit.
    Surtout quand ses balises sont dans des réformes et conventions collectives qui limitent la mission éducative essentielle en la mettant en capsules préfabriquées pour programmes tout-inclus.
    Ceci dit, je sais reconnaître un éducateur n'importe où il se trouve et ils ne sont pas tous à l'école....à faire carrière.
    L'école est devenue un milieu fermé sur ses égos et c'est extrêmement dommageable pour toute société qui voudrait s'émanciper de ses paradoxes. J'ai vécu pendant des années assez près de tout cela pour ne plus y croire.
    J'ai réussi à sauver mes enfants qui elles ont renoncé à avoir elles-mêmes des enfants ... par lucidité.

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  2. Excellent article de M Tondreau.
    L'école a trois missions si je me souviens bien, mais je peux me tromper, soit instruire, socialiser et éduquer. Contrairement à ce qui est dit dans le commentaire de Mme Blaquière, quand nous sommes dans le milieu, il est clair que la notion d'éducation est importante, celle d'instruire aussi, cela va de soi. Mais le vivre ensemble est le quotidien des jeunes et l'apprentissage n'est pas toujours évident pour elles et eux.
    À ce que je sache, ce ne sont pas les conventions collectives qui balisent les réformes. Les conventions balisent les conditions de travail, nuance importante non ?.
    Les syndicats ont fait beaucoup pour exiger du gouvernement des services directs aux élèves, pour que le milieux défavorisés puissent avoir plus de soutien. Ils sont sortis dans la rue pour revendiquer de meilleures conditions d'apprentissage pour les enfants.

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  3. Je suis commissaire d'école depuis mai 1980. Maintenant grand-père de 8 petits-enfants tous repartis dans l'ensemble du système d'éducation à travers le Québec, c'est avec un enthousiasme débordant que j'ai lu ce livre qui pour moi est une invitation à se questionner et à questionner l'acte éducatif à travers l'évolution du temps.J'étais un enfant bien différent de mes enfants et encore plus de mes petits-enfants. C'est le contexte social qui détermine notre vision de l'éducation et nos besoins spécifiques. Je souhaite que l'instabilité permanente caractérise le monde de l'éducation pour que la société soit à la recherche constante de l'équilibre. Bravo Mme Bazzo et compagnie. Tout est perefectible et tous ont droit au chapitre.
    Alain Rioux commissaire Rimouski.

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