dimanche 31 octobre 2010

Guy Rocher et le financement public des écoles privées

« Nous avons besoin d’un mouvement social » 


Guy Rocher
J’ai le sentiment que le vent tourne présentement au Québec concernant les écoles privées, tant en matière de financement que de responsabilité sociale. La volonté exprimée par la ministre Beauchamp la semaine dernière sur le rôle que devrait jouer dorénavant les écoles privées dans l’intégration des élèves en difficulté en est un exemple. Madame Beauchamp demande que ces écoles assument une plus grande part de responsabilité sociale dans l’intégration des élèves en difficulté, ce qui n’est pas le cas présentement.

Je participais vendredi dernier à un colloque du CAPRES où le sociologue bien connu Guy Rocher donnait une conférence sur l’évolution et la situation actuelle de l’éducation au Québec. Membre de la commission qui a produit le fameux Rapport Parent, véritable « bible » de la modernisation du système d'éducation au Québec dans les années 1960, Monsieur Rocher est un analyste de longue date de l’éducation québécoise.

Dans une envolée très bien sentie, Monsieur Rocher s’en est pris à ce qu’il considère comme une erreur importante dans notre manière de financer l’éducation au Québec. Il désespère de voir comment on ne valorise pas assez l’école publique et que l’on continue à financer avec des fonds publics les écoles privées. Il a cité à quelques reprises l’article d’Antoine Baby, publié dans Le Devoir dernièrement.

Dans cet article, Baby parle de la publicité trompeuse des écoles privées et de la triple sélection (sélection à l’entrée, sélection en cas d’échec et sélection selon la fortune) opérée par ces mêmes écoles. Pour Guy Rocher, la sélection des élèves par les écoles privées appauvrit de plus en plus les écoles publiques où les élèves sont de moins en moins stimulés.

«... la sélection des élèves par les écoles privées appauvrit de plus en plus les écoles publiques où les élèves sont de moins en moins stimulés.»

Guy Rocher a le sentiment très net que nous faisons un retour en arrière avec cette question du privé en éducation, un retour à une période où les inégalités scolaires en éducation étaient très grandes, où le système d’éducation québécois n’avait pas encore opéré sa démocratisation. Et les données disponibles semblent lui donner raison. En 1961, la part des élèves inscrits dans les écoles privées s’élevait à 19,6 %; en 2008, cette part s’élevait à 18,3 % après avoir chuté à tout près de 5 % dans les années 1970.




Pour Guy Rocher, il faut revoir toute la question du financement de l’éducation au Québec et surtout réduire le financement public des écoles privées québécoises au Québec. Plus encore, il souhaite que les écoles privées soient soumises aux mêmes obligations que les écoles publiques, c’est-à-dire accueillir en autre tous les élèves qui se présentent à leur porte. Enfin, il appelle à la création d’un large mouvement social autour de cette question et il pense que les acteurs syndicaux pourraient être des joueurs importants dans cette aventure.

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Guy Rocher développe semble-t-il cet argumentaire dans des entretiens qu’il a accordé à son neveu François Rocher et qui ont pris la forme d’une publication sous le titre Guy Rocher : Entretiens aux éditions Boréal. Je crois que je vais lire attentivement cet ouvrage.


Source de la photo: Le Devoir
Graphique: Compilation de Jacques Tondreau

vendredi 22 octobre 2010

Des milliers de décrocheurs scolaires en moins au Québec

Comment faire parler « autrement » les données statistiques

Comme les oiseaux migrateurs de retour de leur habitat hivernal, à chaque début d'été au Québec, arrivent les résultats aux épreuves uniques administrés par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) aux élèves des écoles secondaires. Le document, qui compile les résultats des élèves par matière (français, mathématiques, etc.) comportait jusqu'à cette année une annexe (l'annexe 10) dans laquelle on retrouvait une estimation du taux de diplomation par commission scolaire et selon le genre.

Ai-je besoin de dire que c'était un document attendu par bien des gens car il permettait aussi de comparer les écoles en fonction des résultats de leurs élèves. Ce sont ces données que l'Institut économique de Montréal ainsi que le Journal de Montréal et le Journal de Québec utilisent pour produire leur palmarès respectif des écoles secondaires.

Ma surprise a été grande cette année car la fameuse annexe 10 avait disparu du document principal. Plus de possibilité de savoir quel était le taux de diplomation et, par la même occasion, d'avoir une idée du taux de décrochage scolaire. Afin d'en avoir le cœur net, j'ai appelé un responsable de la statistique au MELS pour lui demander ce qui se passait. Réponse laconique: «les donnés vont arriver plus tard dans un document à part». Je lui demande pourquoi : «Heu ! bien... vous voyez... c'est que... peut-être...». Finalement, je n'ai pas eu de réponse.

Ce n'est que plus tard que l'on apprenait dans les journaux que le MELS s'apprêtait à utiliser une nouvelle manière de calculer les taux de décrochage au Québec. Auparavant, la mesure du décrochage était établie à partir des inscriptions des élèves effectuées jusqu’à la fin de janvier. Dorénavant, le MELS produira une mesure du décrochage qui prend en considération toutes les inscriptions jusqu’à la fin de l’année. La démarche méthodologique demeure la même, il n’y a que le moment de la lecture des données qui est repoussé de la fin de janvier à la fin du mois d’août.

En agissant ainsi, le MELS se mettait une fois de plus en position d'être vertement critiqué par plusieurs analystes. Certains ont vu là une manière pour lui d’embellir la situation du décrochage et de se servir de cela politiquement pour indiquer à la population que ses initiatives en matière de persévérance scolaire fonctionnent. Je suis convaincu que le MELS utilisera effectivement cela pour se faire du capital politique. Mais ça, c’est de bonne guerre.

Toutefois, je pense que ce débat n’est pas très important. Que le MELS calcule d’une façon ou d’une autre son taux de décrochage scolaire ne fera pas disparaître par magie les jeunes qui décrochent. Et à la limite, le MELS aurait pu utiliser la méthode de calcul de Statistique Canada qui regarde le nombre de jeunes qui n’a pas obtenu de diplôme et qui n’est plus à l’école dans le groupe des 20-24 ans. Avec cette mesure, le taux de décrochage passe au Québec de 25% à 11%. 

Mais si on se compare sur cette base aux autres provinces canadiennes, le Québec est en avant-dernière position dans le classement, ce qui n’est pas la situation idéale, vous en conviendrez. Ainsi, quelle que soit la méthode de calcul, avantageuse ou pas pour l’image du MELS, il est toujours possible de se faire une idée assez juste de la «performance» du Québec en matière de décrochage scolaire.

Maintenant, qu’en est-il du décrochage scolaire au Québec avec la nouvelle méthode de calcul du MELS? Voyons les données.


 


On a donc réussi à diminuer instantanément le décrochage scolaire de 5 points de pourcentage ou autrement dit une diminution de 20%. Sur 28 000 décrocheurs chaque année, cela représente 5 600 jeunes en moins dans les statistiques du décrochage. Voici donc 5 600 jeunes qui n’ont pas encore été diplômés et qui sont toujours sur les bancs de l’école. Obtiendront-ils finalement ce fameux diplôme? C’est une histoire à suivre.

mercredi 20 octobre 2010

Trois hormones de croissance pour les réseaux sociaux

Partage, reconnaissance et efficacité 

J’avoue que je suis fasciné et préoccupé à la fois par la montée fulgurante du numérique dans la vie de tous les jours. Les impacts positifs et négatifs des réseaux sociaux restent largement à explorer, notamment en ce qui a trait aux formes de la sociabilité, ces manières qu’ont les gens d’entrer en contact, de communiquer et d’échanger.

C’est à cette tâche que nous convie le dernier ouvrage du sociologue Antonio Casilli: Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité? La sociologie a-t-elle quelque chose à dire sur cette question? Sans doute! Et ce regard porte autant sur la consommation, la santé et la politique que sur l’éducation, l’amour et l’amitié.

L’espace, le corps et le lien social

L’analyse de l’auteur porte sur trois axes: l’espace (rapport au territoire), le corps (photos, avatars) et le lien social (amitié, amour, reconnaissance). C’est sur ce dernier élément que le livre m’interpelle le plus, sur cette possibilité, à travers des liaisons numériques, de «construire une sociabilité forte basée sur des liens faibles».

Pour Casilli, les échanges en ligne ne remplacent pas les rencontres réelles, elles s’y ajoutent. L’ordinateur et Internet modifient certes nos rapports à l’autre dans l’espace public, mais ils transforment également, et de manière significative, nos rapports dans l’espace privé. Éléments technologiques devenus presque indispensables dans la plupart des foyers des pays occidentaux, l’ordinateur et Internet reconfigurent les liens familiaux, les relations de couple, la manière de vivre son célibat.

Donner, recevoir et rendre: le potlatch numérique

Tout réseau social se maintiendrait et évoluerait par le don, et ses utilisateurs sont tenus d’échanger. Ces principes, à la base des liens sociaux dans les sociétés archaïques (donner, recevoir, rendre ou l’obligation d’échanger), continuent d’opérer dans un cadre d’utilisation des technologies modernes: «Un futur utopique a été préfiguré par le passé tribal» dit Richard Barbook que cite Casilli. Ces échanges en réseau, qui renvoient à une logique de coopération, s’opposeraient entre autres à une logique de concurrence, qui est typique du marché.

À cette question du don se greffe deux autres éléments qui permettent aux réseaux sociaux de perdurer: la reconnaissance et l’efficacité. Dans un réseau social, plus on donne, plus on est connu et reconnu. La soif de prestige en pousserait plus d’un à s’investir en partageant. Enfin, un partage abondant et de qualité, qui suscite des commentaires, procure un sentiment d’efficacité.

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Ces quelques éléments tirés de la lecture des premières pages du livre sont éclairants pour mieux comprendre pourquoi les réseaux sociaux gagnent en popularité et pourquoi ils perdurent. Casilli aborde nombre d’autres aspects des liaisons numériques comme la recomposition du militantisme politique, les formes de mobilisation sociale, les amitiés en ligne, etc. J’aurai l’occasion d’y revenir.