vendredi 17 décembre 2010

La situation difficile de la recherche en éducation

Cachez ces données que je ne saurais voir
Comme je tiens un blogue sur la recherche en éducation, je suis à même de constater à quel point le paysage de la recherche en éducation est en mutation. Et ce n’est pas fortuit. L’arrivée au pouvoir de gouvernements plutôt conservateurs a signifié un recul pour un certain type de recherche en éducation, celle qui pouvait de temps à autre faire contrepoids aux discours lénifiants de ministres de l’Éducation plus préoccupés par l’image publique de leur gouvernement que par la réussite éducative des jeunes.

« L’arrivée au pouvoir de gouvernements plutôt conservateurs a signifié un recul pour un certain type de recherche en éducation. »

Vous connaissez peut-être la Fondation des bourses du millénaire du gouvernement canadien, programme créé en 1998 et aboli à la fin 2009 par le gouvernement Harper. Outre la distribution de bourses d’études, ce programme comportait une constituante recherche à laquelle participaient des chercheures et chercheurs rigoureux. Ce programme a produit un bon nombre de notes de recherche sur l’accessibilité aux études supérieures au Canada, sur les difficultés vécues par les étudiantes et étudiants universitaires dans leur parcours scolaire et sur les transitions scolaires. Cette expertise est maintenant perdue.
Un peu plus tard, au début 2010, le gouvernement Harper a coupé le financement du Conseil canadien sur l’apprentissage (CCA). Cet organisme, créé en 2004 sous les Libéraux, avait un mandat de soutenir la recherche dans le but d'améliorer l'apprentissage au Canada, de la petite enfance à l'âge adulte, et de lutter contre le décrochage scolaire. Comme le soulignait dans les médias le président du CCA, Paul Cappon, « Pour moi, il est inconcevable que dans une société [moderne] où tout dépend de l'économie du savoir, on ne puisse pas financer une organisation qui donne vraiment des résultats. ». Heureusement, le CCA a décidé de poursuivre ses travaux malgré tout en limitant la production au strict minimum.

« Pour moi, il est inconcevable que dans une société [moderne] où tout dépend de l'économie du savoir, on ne puisse pas financer une organisation qui donne vraiment des résultats. »

La saga entourant l’obligation de répondre au questionnaire long du recensement du Canada (ce qui a été qualifié de « crise du recensement») est encore un autre coup dur pour la recherche en éducation. La démission du statisticien en chef de Statistique Canada en juillet a confirmé l’importance du problème : il affirmait que « cette décision aurait des conséquences catastrophiques pour la recherche et l’évaluation des programmes et des politiques publiques ». Plusieurs données touchant l’éducation risquent d’être perdues ou inutilisables (car non comparables ou peu fiables). 

La nouvelle ministre de l’Éducation du Québec, Line Beauchamp,  a réagi en disant que «l'élimination du questionnaire long obligatoire aurait des conséquences négatives sur une très vaste gamme de données» comme les domaines d'études, le revenu et les caractéristiques du marché du travail. La Centrale de syndicat du Québec (CSQ), regroupant la majeure partie du personnel des établissements scolaires au Québec, a interpellé Stephen Harper sur cette question. Elle rappelait que le ministère de l'Éducation du Québec se base sur les données du recensement fédéral pour calculer l'Indice de milieu socio-économique (IMSE), qui sert à déterminer quelles écoles sont situées en milieu défavorisé. Ces établissements profitent d'une plus grande réduction du nombre d'élèves par classe et d'un financement additionnel dans le cadre de la Stratégie d'intervention Agir autrement (SIAA).
Un dernier exemple, cette fois du côté de la France, ou l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) va être intégré en janvier 2011 à l’École normale supérieure de Lyon par le gouvernement Sarkosy. Plusieurs observateurs français voient dans la mort annoncée de l’INRP la disparation de décennies de recherche vouées aux préoccupations des intervenants sur le terrain éducatif. Celles et ceux qui connaissent la Revue française de pédagogie, publiée par l’INRP, ont pu apprécier au cours des années la qualité du travail de cet Institut. 
Comme on l’indiquait dans une pétition pour le maintien de l’INRP, cet organisme poursuit plusieurs missions importantes pour le milieu de l’éducation : « diffusion des résultats de la recherche en éducation, évaluation des innovations pédagogiques, expertise opérationnelle acquise sur le terrain grâce aux enseignants associés, actions de formation des enseignants, veille scientifique et technologique, conservation et développement des collections muséographiques et bibliographiques en matière de recherche en éducation ». Ce n’est pas rien tout cela.

« Plusieurs observateurs français voient dans la mort annoncée de l’INRP la disparation de décennies de recherche vouées aux préoccupations des intervenants sur le terrain éducatif. »

Enfin, une nouvelle tendance semble prendre forme, soit la diffusion en catimini des données statistiques permettant de faire des analyses. Le ministère de l’Éducation du Québec est en passe de devenir un maître en la matière. Ce ministère diffuse les données statistiques dans son site de manière peu transparente sur une page intitulée « Nouveauté dans le site ». Or toutes les nouveautés ne se retrouvent pas là car il faut aller vérifier de temps à autre sur une autre page intitulée « Publications – statistique ». Ces deux pages sont peu visibles dans la profusion d’information que l’on retrouve sur le site. Et même en suivant régulièrement l’information diffusée sur ces deux pages, il devient parfois difficile de savoir ce qui est nouveau ou pas. Il serait pourtant si facile de mettre en évidence les nouveautés dans le site du ministère.
Ces initiatives gouvernementales privent les milieux de pratique, les analystes et la population de données qui permettent bien souvent de questionner l’action gouvernementale.
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Quelques productions du programme de recherche des bourses du millénaire

Quelques productions du Conseil canadien sur l’apprentissage

Quelques productions de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP)
 

mercredi 15 décembre 2010

En éducation, pour être efficace, il faut d’abord être équitable*

Afin de rendre le système éducatif québécois plus efficace, les tenants de l’idéologie néolibérale préconisent depuis trente ans l'accroissement de la concurrence et de la sélection scolaires. Cette thèse bat de l’aile aujourd’hui. En fait, il semble que les systèmes d’éducation qui font réussir plus d’élèves sont souvent ceux qui mettent en place des mesures fondées sur l’équité. Ainsi, se pourrait-il qu’il faille d’abord être équitable avant d’être efficace ?

Depuis les années 1980, les tenants du néolibéralisme en éducation tentent de nous convaincre que la réussite des élèves passe par des mesures fondées sur l’efficacité (choix de l’école, gestion par les résultats, concurrence entre les écoles privées et publiques, programmes pédagogiques sélectifs pour les élèves performants, sélection scolaire précoce, palmarès des écoles, etc.). Pour les promoteurs de cette idéologie, c’est en choyant l’élite scolaire qu’il devient possible de tirer tous les élèves vers le haut et ainsi favoriser la réussite du plus grand nombre. En somme, pour eux, l’équité passe d’abord par l’efficacité.

Sous l’impulsion d’enquêtes internationales des systèmes d’éducation, il s’est opéré au début des années 2000, un renversement de perspective sur la question de l’école efficace. On peut penser ici aux données tirées du Programme international de suivi des acquis des élèves (PISA) géré par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et administré dans plus d’une trentaine de pays auprès d’élèves de 15 ans[1]

Les résultats de ces enquêtes ont amené l’OCDE, organisme faisant pourtant la promotion de la concurrence en éducation et de la sélection scolaire, à admettre que les mesures fondées uniquement sur l’efficacité ne donnent pas les résultats escomptés. Dans un document intitulé Pour en finir avec l’échec scolaire. Dix mesures pour une éducation équitable, l’OCDE indique que les systèmes d’éducation qui cherchent à être efficaces doivent mettre aussi en place des mesures d’équité (formation commune longue, mesures compensatoires pour les élèves en difficultés, absence de sélection précoce dans des filières de scolarisation peu prometteuses, etc.).

Ces dernières années, un pas supplémentaire a été fait dans ce renversement de perspective. Les données indiquent de plus en plus que non seulement les écoles doivent être efficaces et équitables en même temps, mais qu’en fait, pour être efficaces, elles doivent d’abord être équitables. Les systèmes éducatifs misant fortement sur l’égalité de traitement de tous les jeunes dans l’école ainsi que sur des mesures qui réduisent les écarts de réussite scolaire entre les élèves, font généralement meilleure figure que ceux qui encouragent la concurrence entre les écoles, la compétition entre les élèves et la sélection précoce. La Finlande et l’Écosse sont exemplaires à ce chapitre.

La Finlande est reconnue pour avoir un système éducatif à la fois équitable et efficace. Cette réussite tient à de nombreux facteurs comme une prise en charge très précoce des élèves en difficulté scolaire et une aide individualisée à ces mêmes élèves. De plus, la Finlande n’encourage pas le développement d’écoles privées concurrençant les écoles publiques et évite toute orientation précoce en établissant une formation commune pour tous les élèves dans le cadre de la scolarité obligatoire. Pour sa part, l’Écosse aussi obtient régulièrement d’excellents résultats au test PISA et son système scolaire est considéré comme l’un des plus équitables par l’OCDE. L’Écosse se démarque également par une volonté de ne pas encourager la concurrence scolaire en ne finançant pas les écoles privées[2].

Et qu’en est-il au Québec ? La province se classe très bien dans le test PISA. Pourtant, le Québec encourage de plus en plus la mise en place des mesures d’efficacité pour assurer la réussite du plus grand nombre d’élèves (concurrence entre les écoles, sélection de plus en plus précoce des élèves dans des programmes particuliers, obligation de résultat, etc.). Ces tendances ont de quoi inquiéter. Le Québec accuse d’ailleurs depuis 2000 un léger recul dans les tests PISA, alors que l’Ontario, qui ne finance pas ses écoles privées et n’encourage pas la sélection scolaire, gagne du terrain. De plus, le Québec fait piètre figure en ce qui a trait au sort réservé à ces jeunes de 15 ans qui performent bien dans les tests PISA, mais dont près d'un élève sur cinq ne parvient pas à obtenir un diplôme d’études secondaires avant 20 ans.


[1] PISA teste les compétences des élèves de 15 ans en lecture, en mathématiques et en sciences tous les trois ans depuis 2000.
[2] À l’inverse, des systèmes éducatifs se démarquent en étant à la fois inefficaces et inéquitables comme c’est le cas de la France ou de la Belgique.
 
* Je reprends ici un texte que j'ai publié dans la revue À babord, été 2010.