mercredi 14 novembre 2012

Les devoirs et les leçons : quelles fonctions ?

Les devoirs et les leçons se définissent grossièrement comme des tâches scolaires que les élèves doivent effectuer en dehors de la classe (généralement à la maison). Les débats sociaux sur l’utilité et la pertinence des devoirs et des leçons à la maison connaissent des hauts et des bas selon la période considérée. Au début du XXe siècle, alors que l’apprentissage est vu comme la résultante de la répétition, les devoirs et les leçons sont considérés comme une bonne façon d’approfondir une même matière. Plus tard, lorsque la conception de l’apprentissage évolue vers l’idée qu’il correspond plutôt à une capacité de résoudre des problèmes, les devoirs et les leçons sont davantage considérés comme une intrusion dans la vie des familles. La pertinence des données quant aux devoirs et aux leçons fait encore aujourd’hui l’objet de questionnements et de débats entre les «pro » et les « anti » devoirs et leçons.

Les tenants des devoirs et des leçons affirment que c’est une bonne façon de faire participer les parents à l’éducation scolaire de leur enfant puisqu’en étant parties prenantes à cette activité, ils sont plus à même de mieux savoir ce que leurs enfants apprennent et de les suivre dans leur cheminement scolaire. Ce serait également, selon eux, une façon de favoriser le développement du sens des responsabilités chez les élèves. Du côté des détracteurs, les devoirs et les leçons seraient une source de stress et de conflit entre les parents et les enfants, et ils ne seraient plus de mise dans un monde où les deux parents travaillent. De plus, on peut considérer dans ce dernier groupe ceux qui pensent que les devoirs et les leçons sont une source d’amplification des inégalités scolaires, dans la mesure où certains parents immigrants (qui ne maîtrisent pas la langue de l’école) ou vivant en milieu défavorisé (qui maîtrisent moins les savoirs scolaires) sont moins susceptibles d’aider leurs enfants dans leurs devoirs et leçons, alors que ce sont ces enfants qui en ont le plus besoin.

Donner des devoirs et des leçons est une pratique très répandue au Québec, comme le confirme l’enquête du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) dans le cadre de son avis sur les devoirs et leçons au primaire (2010), alors que la quasi-totalité des écoles y ont recours. Parmi 443 directions d’établissement scolaire interrogées quant à savoir si le personnel enseignant donnait des devoirs et des leçons aux élèves, 437 ont répondu par l’affirmative. D’autres recherches confirment ces résultats, comme celle de Rolande Deslandes sur 18 écoles situées dans 5 régions du Québec (2008) : on y apprend que 91% des parents d’élèves disent que leurs enfants ont des devoirs et des leçons à faire 4 soirs par semaine ou tous les soirs.

Nombre de parents considèrent les devoirs et les leçons comme une bonne chose pour leurs enfants. Dans un sondage réalisé en 2009 par la Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ), on note que la très grande majorité des parents (90%) sont tout à fait d’accord ou plutôt d’accord avec cette pratique au primaire. Parmi les perceptions des parents sur les fonctions des devoirs et des leçons à la maison, nombreuses sont celles selon lesquelles ils permettent de connaître le travail fait en classe par leur enfant, de même que le degré de facilité ou de difficulté des matières qu’il apprend. Peu de parents indiquent dans le sondage que les devoirs et les leçons nuisent à la communication avec l’enfant. Toutefois, presque la moitié des parents interrogés considère que les devoirs et les leçons sont une source de stress (FCPQ, 2010). Selon une enquête effectuée en 2006 cette fois, 64% des parents canadiens estiment qu’ils ne possèdent pas les connaissances requises pour aider leur enfant à faire leurs devoirs. Des enquêtes réalisées par sondage au Canada indiquent également que le manque de temps du côté des parents pour aider leur enfant à faire leurs devoirs est un obstacle important (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2008).

Pour bien des parents, les devoirs et les leçons sont associés à une plus grande réussite scolaire. Qu’en est-il de l’efficacité des devoirs et des leçons à ce chapitre ? Dans une revue de la littérature portant sur les recherches ayant examiné le lien entre devoirs et performance scolaire, il est indiqué que, dans l’ensemble, les devoirs contribuent à une meilleure réussite des élèves, avec quelques nuances cependant : les devoirs et les leçons sont efficaces pour la rétention d’information à court terme, mais ils le sont moins pour une compréhension à long terme. De plus, cette efficacité des devoirs se confirmerait pour les élèves du secondaire, mais pas pour les élèves du primaire (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2008).

Une autre recension de la recherche effectuée par le Conseil canadien sur l’apprentissage a cherché à vérifier la portée des devoirs sur la réussite des élèves à partir de 18 études ayant abordé cette question de 2003 à 2007. Ces études dégageaient 32 indicateurs de résultats permettant d’établir l’influence nette des devoirs sur la performance scolaire. Pour la moitié des indicateurs, il y avait une influence forte (4 indicateurs) ou modérée (12 indicateurs) sur les performances scolaires des élèves (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2009). 

jeudi 1 novembre 2012

De quoi le Québec a-t-il besoin en éducation ?


C’est le titre d’un ouvrage paru hier sous la direction de Jean Barbe, Marie-France Bazzo et Vincent Marissal et qui comprend la contribution de onze personnes. Chacune d’elles a eu à répondre à huit questions dont, entre autres :

  • Que devrait savoir un jeune en sortant du secondaire ?
  • Quel est le rôle de l’école, du primaire à l’université ?
  • Écoles privées ou écoles publiques ?
  • Pourquoi y a-t-il encore du décrochage ?

J’ai lu l’ouvrage avec attention et intérêt. J’y ai lu quelques bonnes analyses et idées, mais j’ai plusieurs déceptions. Cet ouvrage ne permet pas de répondre à la question qu’il pose.

Quelques mots sur la forme

Deux petites choses sur la forme avant de passer au fond. D’abord le titre. Quelle question bizarre. Il aurait été plus pertinent de se demander quelle éducation voulons-nous pour le Québec ? Ou encore, qu’est-ce que le Québec peut faire pour se donner une éducation à la hauteur de ses aspirations ? L’éducation doit répondre d’abord aux besoins des jeunes et des adultes en formation, le Québec y trouvera son compte par la suite. Puis, on indique sur la pochette du livre qu’il s’agit d’un recueil d’entretiens. Il s’agit plutôt d’un recueil de textes, car on ne retrouve aucun entretien dans cet ouvrage.

Et une appréciation du contenu

Sur le fond maintenant. Les auteurs du collectif viennent d’horizons divers. Ils ont une connaissance et une expérience plus ou moins grande des réalités éducatives au Québec. Cette diversité est intéressante, car elle permet de lire des points de vue contrastés. Toutefois, il apparaît vite à la lecture de l’ouvrage que la qualité du propos est aussi très variable. Si quelques bonnes idées sont avancées parfois, si l’analyse peut agréablement surprendre dans certains cas, pour l’ensemble, on est devant l’expression d’opinions, sans plus, sur l’éducation au Québec. Pire, on a droit à l’expression à plusieurs moments de lieux communs, de stéréotypes, d’anecdotes présentées comme des faits généralisables ou encore montés en épingle. C’est sans compter les affirmations à l’emporte-pièce qui laissent pantois, venant de gens qui côtoient le milieu de l’éducation depuis de nombreuses années. Dans certains cas, les réponses n’ont visiblement pas de rapport avec la question.

Fort heureusement, il y a quelques beaux morceaux de texte qui sont visiblement appuyés sur une analyse plus réfléchie. Les réponses de Normand Baillargeon aux questions sauvent définitivement l’ouvrage. Merci mille fois Monsieur Baillargeon, toujours un plaisir de vous lire. Avec sa vaste expérience du système scolaire, Guy Rocher répond à chacune des questions avec un regard certain. Un économiste, Ianick Marcil, blogueur au Voir, et Maryse Perreault, nous offre également une analyse intéressante, même si je suis parfois en désaccord avec leurs propos. Des déceptions : Fabienne Larouche dont il est difficile de suivre le propos tellement il est éclaté et peu pertinent ; Robert Bisaillon qui possède pourtant une vaste expérience du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) aurait pu en profiter pour nous instruire sur les paradoxes des politiques éducatives du Québec. Au lieu de cela, il tombe dans un antisyndicalisme primaire. Il n’est d’ailleurs pas le seul.

Quelques éléments de contenu

L’ouvrage débute mal. Marie-France Bazzo nous dit que « le Québec se fout de l’éducation ». C’est une affirmation alambiquée. Certes, il est vrai que l’éducation dans les médias ne fait qu’un maigre 0,18 % de toutes les nouvelles et que la majorité de ce 0,18 % concerne les structures. On parle plus de cuisine, 28 fois plus en fait que l’éducation. On peut imaginer facilement que le sport dépasse très largement l’éducation dans les médias. Comme dans le temps des Romains, c’est le pain et les jeux qui comptent.

Mais si vous demandez à des parents et à des grands-parents ce qu’ils pensent de l’enseignante ou de l’enseignant de leurs enfants et petits-enfants, vous aurez un autre son de cloche, probablement plus positif et intéressé. Si vous leur demandez ce qu’ils pensent de leur école, vous aurez déjà une réponse plus distante. Si vous leur demandez enfin ce qu’il pense de l’éducation en général, vous n’entendrez plus rien ou on vous répètera ce que les médias en disent, c’est-à-dire pas grand-chose. Et je ne critique pas ici Barbe, Bazzo et Marrissal, je considère qu’ils font des efforts plus que louables pour faire « monter d’une coche » le niveau de réflexion dans les médias au Québec. Je pense plus ici au junk food médiatique servi par des journaux complaisants ou des radios poubelles qui dépeignent l’éducation publique comme une des sept plaies d’Égypte.

Quand Robert Bisaillon nous dit qu’« on vit actuellement des phénomènes d’exclusion créés par le système, mais on prétend en même temps que l’école est pour tous », j’aurais souhaité qu’il nous parle du rôle des politiques éducatives dans cette situation et du rôle qu’il a joué lui-même comme sous-ministre adjoint dans le développement de ces politiques. Au lieu de cela, on apprend que le Parti libéral a « gossé » les politiques mises en place par le Parti québécois, que les programmes par compétences ne sont pas appliqués et que la culture professionnelle n’existe pas chez les enseignantes et les enseignants. Bon, il y a du vrai dans tout cela, mais pour un acteur aussi important, on se serait attendu à une analyse plus en profondeur.

Je suis agréablement surpris de lire Ianik Marcil qui s’inquiète de la place que prend la culture du chiffre en éducation sous l’impact de la gestion axée sur les résultats. Je suis surpris que quelqu’un de l’extérieur à l’éducation puisse déceler les dangers de cette approche en éducation lorsqu’elle est utilisée tout de travers alors que celles et ceux qui sont à l’intérieur du système éducatif ne soulèvent pas cette question. En ce qui me concerne, la gestion axée sur les résultats utilisée dans les établissements scolaires présentement est une menace à la culture générale et au développement des enfants. Je ne veux pas pour les enfants du Québec un système éducatif qui ne pense que pression à la performance, cibles à atteindre, sans égard aux moyens dont disposent celles et ceux qui font l’éducation au quotidien.

J’aime bien aussi l’idée de Mario Asselin de l’écriture en public. Il me semble que cette idée est porteuse et pourrait favoriser la réussite d’un plus grand nombre d’élèves. Que des jeunes fassent des travaux scolaires en ayant en tête que les résultats de leurs efforts pourront être appréciés sur un blogue, par exemple, constitue en effet une motivation très forte à entrer dans les apprentissages, quel que soit le niveau de l’élève. Certes, les élèves plus faibles auront besoin d’un coup de main plus grand pour les aider à cheminer dans des démarches de la sorte, mais j’ai confiance qu’ils pourraient en retirer beaucoup.

Sur l’antisyndicalisme primaire qui est affiché par certains dans l’ouvrage

Je pense qu’il est plus facile de chercher des coupables aux maux de l’éducation que de proposer des avenues pour une meilleure éducation. Je travaille pour une organisation syndicale et je peux donc voir de l’intérieur ce qui s’y passe. Rien n’est parfait, c’est vrai dans le milieu du syndicalisme enseignant, dans les commissions scolaires, chez les directions d’établissement, au MELS, chez les enseignantes et les enseignants, les parents et les élèves. Facile de s’entendre là-dessus. Mais quand on utilise des faits divers pour discréditer le syndicalisme enseignant, quand on impute aux syndicats enseignants des réalités qui ne les concernent pas, je trouve cela déplorable, comme je trouve déplorable les gens qui critiquent les directions d’établissement, les commissions scolaires ou le Ministère sans savoir vraiment comment les choses se passent.

Par exemple, Robert Bisaillon affirme dans l’ouvrage que : « Les milieux où il y a des syndicats purs et durs sont les milieux où il y a le plus d’enfants au privé. Pourquoi ? Les syndicats ont tenu pendant vingt ans un discours selon lequel on ne pouvait pas donner une éducation de qualité au public à cause des compressions, du manque de ressources, etc. »

Il me semble qu’entre la cause et l’effet, il y a deux ou trois éléments à considérer. C’est en milieu urbain qu’on retrouve le plus d’écoles privées, c’est en milieu urbain qu’il y a le plus de concurrence entre les écoles, c’est en milieu urbain qu’on retrouve les plus gros syndicats, les mieux outillés également pour critiquer certaines aberrations de politiques éducatives mises en place, c’est en milieu urbain que les problèmes de l’école sont les plus criants, car c’est aussi en milieu urbain que les défis de l’école sont les plus grands (pauvreté, multiethnicité, etc.). C’est le genre de variables que j’intercalerais entre l’exode vers le privé des élèves du public et le discours des syndicats afin d’expliquer les liens entre la cause et l’effet.

Un autre exemple nous est fourni par Mario Asselin, qui monte en épingle un fait anecdotique. Pour Asselin, c’est de l’enthousiasme qui manque en éducation, c’est ce dont l’éducation aurait le plus besoin. Mettons. Mais ça se gâte quand il affirme ironiquement que les syndicats en ont eu de l’enthousiasme envers la réforme « quand ils faisaient leur procession avec les nouveaux programmes de formation dans le cellophane, pas ouverts, et qu’ils paradaient pour aller les porter dans le container ». Avec de telles déclarations, on passe d’un antisyndicalisme primaire à un antisyndicalisme primitif. Asselin n’est pas sans savoir que la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) ont été critiques de la réforme, mais ne l’ont pas rejetée. Ces organisations syndicales ont travaillé en mode propositions auprès du MELS afin d’atténuer les principaux irritants de cette réforme.