mercredi 19 septembre 2012

L’approche comptable en éducation au Québec (2e partie)


Dans un premier billet sur l’approche comptable en éducation, j’indiquais comment on peut définir l’approche comptable en éducation et comment elle a pris forme au Québec. On l’a vu, François Legault, l’actuel chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ), y est pour beaucoup. Dans le présent billet, j’indiquerai comment cette vision comptable a des impacts négatifs, particulièrement pour les écoles en milieu défavorisé et comment elle affecte les conditions d’exercice des enseignantes et des enseignants.

Les conventions de partenariat (signées entre le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) et les commissions scolaires) et les conventions de gestion (signées entre les commissions scolaires et les écoles) apparues dans les écoles en 2009 exercent des pressions sur le personnel enseignant. En vertu des conventions de partenariat, toutes les commissions scolaires doivent atteindre des cibles de diplomation. Pour l’ensemble du Québec, la cible est fixée à 80% de diplomation avant 20 ans, d’ici 2020. Cette cible nationale a été déterminée selon une géométrie variable pour chaque commission scolaire.

On met une forte pression sur les écoles en milieu défavorisé

Ainsi, pour les commissions scolaires de Montréal et des Samares, le ministère de l’Éducation demande une augmentation du taux de diplomation de 57% à 70% pour la première, et de 56% à 69% pour la seconde, soit des hausses respectives de l’ordre de 13%. La situation est fort différente pour les commissions scolaires des Découvreurs et Lester-B. Pearson puisque les efforts demandés sont beaucoup plus modestes. En fait, la première doit augmenter son taux de diplomation de 84% à 88% et la seconde, de 82% à 88%, soit des augmentations respectives de 4% et 6%.

Les commissions scolaires des Découvreurs et Lester-B. Pearson interviennent en milieu beaucoup plus aisé. Si l’on regarde l’indice de milieu socioéconomique (échelle de 1 à 10, où 1 indique un milieu social très favorisé et 10 un milieu social très défavorisé), on observe que les commissions scolaires des Découvreurs et Lester‑B. Pearson oeuvrent en milieu très favorisé, alors que les commissions scolaires des Samares et de Montréal œuvrent en milieu très défavorisé.

En somme, on demande à ceux qui ont moins d’en faire plus. L’essentiel de l’effort pour augmenter le taux de diplomation incombe aux écoles qui doivent déjà en faire beaucoup compte tenu de l’origine sociale de leurs élèves. Et ce sont précisément les écoles qui œuvrent auprès de jeunes en milieu défavorisé qui peinent le plus à amener ces jeunes vers la réussite scolaire. Pas besoin d’être sociologue pour flairer ici une odeur d’injustice sociale.

Une course aux résultats qui favorise les comportements déviants

Les pays qui ont mis en place une gestion axée sur les résultats, avec une forte pression pour que les écoles améliorent leurs scores aux examens nationaux, ont vu apparaître un ensemble d’effets pervers préjudiciables à une éducation de qualité.

Dans un contexte où les coupures en éducation au Québec se font à répétition depuis 2010 et que les moyens nécessaires pour offrir les services aux élèves en vue de leur réussite se font plus rares, les enseignantes et les enseignants et les directions d’établissement pourraient être tentés de développer des stratagèmes afin de rencontrer les attentes parfois irréalistes du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. On note, entre autres, comme effets pervers:

· une vision réductrice de l’éducation parce qu’uniquement axée sur les performances, mesurées par des indicateurs et orientées par les résultats;

· quand les pressions en faveur de la performance et de l’atteinte des résultats deviennent trop fortes, les écoles peuvent adopter des stratégies déviantes, comme se débarrasser des élèves faibles, orienter les élèves vers des filières cul-de-sac, empêcher les élèves de se présenter aux examens ministériels;

· dans un système de plus en plus compétitif, les meilleurs établissements s’améliorent davantage en écrémant les meilleurs élèves des autres établissements qui, de leur côté, regroupent de plus en plus d’élèves en difficulté ou avec troubles du comportement;

· une préparation des élèves aux examens (teach to test) puisque seuls les résultats ont de l’importance.

On ne parle pas ici de science-fiction. Un exemple parmi d’autres est celui des écoles de la ville d’Atlanta ou une fraude à grande échelle a eu lieu en 2011. Le gouverneur de la Géorgie, Nathan Deal, avait dévoilé à ce moment un rapport d’enquête de plus de 400 pages, démontrant comment 38 directions d’école et 140 enseignantes et enseignants ont triché au cours des dix dernières années pour améliorer la performance de leurs élèves aux examens du ministère de l’Éducation. Ce système généralisé de tricherie a été instauré pour répondre à la pression de devoir performer afin de se qualifier pour avoir droit aux subventions supplémentaires accordées aux écoles les plus méritantes.

On se souviendra que l’ex-ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, avait suggéré lors d’un Conseil général du Parti libéral en 2011 de lier le financement des écoles à la performance des écoles. Heureusement, les déléguées et les délégués sur le parterre ont eu l’intelligence de défaire cette proposition. Mais c’est le genre de propositions qui refera surface tôt ou tard et il y aura peut-être un gouvernement pour acheter ce genre d’initiative. On peut facilement imaginer les conséquences de ce type de gouvernance scolaire.

Et la démocratie scolaire participative en a pris pour son rhume

La Loi sur l’instruction publique accorde au ministère de l’Éducation le droit de fixer des cibles pour l’ensemble du réseau de l’éducation et que ces cibles soient inscrites dans les conventions de partenariat signées entre le Ministère et les commissions scolaires. En aucun cas, cependant, la Loi indique que ces cibles doivent se retrouver sans les conventions de gestion qui sont approuvées par les conseils d’établissement.

Dans plusieurs commissions scolaires, on a bien compris le principe, il n’y a pas eu d’insistance pour que soient inscrites des cibles dans les conventions de gestion. D’autres commissions scolaires, une quinzaine environ, ont choisi la ligne dure et se sont entêtées à vouloir que tous les conseils d’établissement approuvent leur convention de gestion avec des cibles. Résultat: une résistance importante dans plusieurs écoles.

Dans des dizaines de conseils d’établissement, les parents, le personnel enseignant, professionnel et de soutien ne voulaient pas de cette approche comptable de l’éducation. Ils n’en avaient pas contre l’idée d’une convention de gestion (ça peut servir de plan d’action après tout), mais contre les cibles qu’on voulait leur imposer. Devant les résistances, ces commissions scolaires ont sorti l’artillerie lourde et invoqué un article de la Loi sur l’instruction publique qui leur permet de prendre les décisions à la pace d’un conseil d’établissement.

Ainsi, des conseils d’établissement ont reçu des mises en demeure de leur commission scolaire les enjoignant d’approuver leur convention de gestion, malgré le fait qu’elles contiennent des cibles chiffrées. Et voilà pour la démocratie scolaire.

Dans le prochain billet, je poserai la question de l’efficacité et de la pertinence de cette vision comptable en éducation. Donne-t-elle réellement des résultats ? Permet-elle à plus d’élèves de réussir? Est-elle vraiment un moyen de mieux gérer les écoles ?


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